Analyse des objets d’art : Caroline Tokarski mène l’enquête de main de maître

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Professeure en chimie analytique à l’Institut CBMN à l'Université de Bordeaux, Caroline Tokarski est responsable des activités de recherche et développement en spectrométrie de masse. Elle dirige la plateforme Protéome dont la vocation première est l’analyse d’échantillons protéiques de différentes natures. Elle est également à la direction de ARCHE[1], un laboratoire international associé au CNRS avec le Metropolitan Museum of Art de New-York. C’est dans ce cadre que s’inscrivent ses travaux concernant les œuvres d’art et les objets du patrimoine culturel. Dans l’ouvrage Étonnante chimieelle partage des détails d’analyse ayant aidé à la résolution de certaines énigmes de l’histoire de l’art.

Dans son laboratoire de l’Université de Bordeaux, Caroline Tokarski et ses équipes développent une expertise unique dans la caractérisation structurale des biomolécules. Par un procédé analytique original, dit «d’analyse omique[2]», les biomolécules (protéines, lipides, sucres) contenues dans des échantillons de peintures d’art, d’objets archéologiques ou paléontologiques de la taille de poussières infimes, peuvent être identifiées, à l’aide de spectromètres de masse de haute résolution.

Une technique très peu invasive pour les artefacts et toujours plus informative à partir d’échantillons plus réduits. «Nos premiers développements au début des années 2000 nous permettaient d’identifier quelques courtes séquences de protéines anciennes. De nos jours, nous accédons à une caractérisation très complète des protéines, nous identifions leurs origines biologiques et leurs modifications chimiques. Nos développements se tournent maintenant vers une meilleure compréhension des réseaux moléculaires in situ et leurs dégradations liées au vieillissement, à la conservation ou à la restauration» raconte Caroline Tokarski.

Considérée comme pionnière dans le développement des techniques d’analyse protéomique d’échantillons anciens et historiques, l’enseignante-chercheuse est régulièrement contactée par les musées du monde entier. Ils font appel à ses connaissances pour des problématiques particulières d’œuvres ou pour déployer dans leurs laboratoires de musées les techniques et stratégies qu’elle maitrise. Elle forme les personnels scientifiques de ces structures en leur apportant soutien technique et accompagnement.

Caroline Tokarski et sa co-autrice Julie Arslanoglu[3] lèvent le voile avec l’article Mystère moléculaire au musée, paru dans Étonnante chimie[4], sur quelques résultats de recherche et expliquent la notion de signature moléculaire des œuvres d’art.

«La notion de signature moléculaire d’une œuvre d’art est intimement liée à la signature picturale de l’artiste» dit Caroline Tokarski. «Elle nous informe sur le chemin traversé par une œuvre d’art de sa création jusqu’au moment où elle nous parvient. Les biomolécules identifiées dans les objets d’art nous informent aussi sur des lieux de création, sur des points d’histoire ou encore, indirectement, sur des liens sociétaux comme des routes commerciales du passé» révèle Caroline Tokarski.

De nombreuses questions subsistent sur les procédés des grands maîtres et cette recherche permet de percer certains mystères et recettes de fabrication jalousement gardées pendant des siècles, tout en étudiant les effets du vieillissement sur l’œuvre, les éventuelles restaurations, les variations qu’un objet d’art a subies en traversant le temps. Ces informations améliorent ainsi les protocoles de restauration et de conservation.

À l’heure où quasiment tous les musées du monde étaient fermés, Caroline Tokarski se désolait de ne pas pouvoir retourner dans les réserves et dans les salles d’exposition. «Pour moi qui suis chimiste, je reste toujours émerveillée et consciente de l’immense privilège de pouvoir accéder à des œuvres exceptionnelles. Les demandes des conservateurs et des restaurateurs sont des énigmes comme des challenges que nous nous devons de résoudre» s’enthousiasme-t-elle. Le travail en laboratoire continue et bientôt elle reprendra ses déplacements dans les plus beaux musées de la planète.

Caroline Tokarski s’inscrit dans une volonté de parler de la chimie au grand public. C’est le principal objectif de sa participation au livre Étonnante chimie. Vulgariser pour toucher un public plus vaste d’adultes, d’étudiants mais aussi pour sensibiliser les plus jeunes. «Il faut partager les côtés attrayants des sciences en montrant à quel point cela peut porter un individu vers des voies passionnantes».

Un pari réussi pour l’enseignante-chercheuse qui constate dans son domaine une répartition équilibrée entre étudiants et étudiantes. Une autre grande fierté pour Caroline Tokarski est de voir ses étudiants évoluer dans la voie qu’elle a tracée «Il se trouve que deux de mes doctorantes ont été recrutées dans des musées prestigieux aux États-Unis… » dit-elle avec un immense sourire dans la voix.

Par Zahra Muyal

[1] CNRS International Laboratory ARCHE ARt and Cultural HEritage: Natural Organic Polymers by Mass Spectrometry. 

[2]  Protéomique, lipidomique et glycomique pour identifier, quantifier et caractériser finement les protéines, les lipides et les polysaccharides présents dans un échantillon biologique à un instant T.

[3] Department of Scientific Research, The Metropolitan Museum of Art, New York, NY, United States

[4] Mystère moléculaire au musée. Caroline Tokarski et Julie Arslanoglu. Étonnante chimie, CNRS Editions.

Contact

Caroline Tokarski
Professeure, Institut de chimie et de biologie des membranes et des nanoobjets, Plateforme Protéome (CNRS/Université de Bordeaux/Bordeaux INP/Bordeaux Sciences Agro)
Communication CNRS Chimie