Les MOF au cœur d’une collaboration franco-japonaise
Le Prix Nobel de chimie 2025 a été décerné à Susumu Kitagawa, Richard Robson et Omar Yaghi pour leurs travaux sur les MOF ou metal organic frameworks, ces « briques de Lego » moléculaires aux applications prometteuses dans les domaines de l’environnement, l’énergie et la santé. David Farrusseng, Aude Demessence et Mickaële Bonneau, chercheurs à l’Institut de recherches sur la catalyse et l’environnement de Lyon1 , nous racontent leur collaboration fructueuse avec le lauréat japonais et les perspectives qu’ouvrent cette récompense.
- 1laboratoire CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1
Que sont les MOF, ces formes moléculaires récompensées par le Prix Nobel de chimie 2025 ?
David Farrusseng : Les structures métallo-organiques, aussi connues sous l’acronyme de MOF (venant de l’anglais metal-organic frameworks), sont des solides poreux. Autrement dit, ils comportent des cavités, de l’ordre du nanomètre, qui permettent filtrer de petites molécules.
Aude Demessence : La grande spécificité de ces MOF est qu’on peut les concevoir sur mesure. Cela donne lieu à des applications multiples. On peut les utiliser pour stocker de petites molécules avec une absorption sélective, par exemple pour capturer le CO2 ou dépolluer l’eau et l’air intérieur. Les pores peuvent également servir de cages pour des réactions catalytiques. Enfin, dans le domaine pharmaceutique, les MOF peuvent servir à stocker des molécules thérapeutiques avec un relargage contrôlé.
Mickaële Bonneau : Les MOF sont très pratiques car ils peuvent emmagasiner beaucoup plus de molécules qu’une simple bouteille de gaz. Ce sont ces nombreux atouts qui valent aujourd’hui à Susumu Kitagawa, Richard Robson et Omar Yaghi de recevoir le Prix Nobel de chimie 2025.
Votre laboratoire, l’IRCELYON, travaille de longue date avec Susumu Kitagawa et son équipe à l’Université de Kyoto. Vous avez notamment lancé un projet de recherche international en 2018, baptisé Smolab. Quel est l’historique de cette collaboration et à quels résultats êtes-vous parvenus ?
DF : La collaboration entre l’IRCELYON et l’Université de Kyoto est une initiative d’Alain Fuchs. Ancien président du CNRS, il était également un chimiste théoricien. Quand les structures métallo-organiques ont émergé, au tout début des années 2000, il a tout de suite identifié le laboratoire du Pr. Kitagawa comme leader dans le domaine et a souhaité collaborer avec eux. La conjugaison de nos expertises en recherche fondamentale, en études expérimentales, en simulation moléculaire et ingénierie des matériaux est unique. Cette complémentarité nous a conduit à renforcer cette collaboration en lançant le projet international de recherche Smolab en 2018.
AD : J’ai commencé à travailler avec le laboratoire Kitagawa et en particulier avec son collègue Satoshi Horike en 2014, à l’occasion d’un séjour d’un an. Je continue depuis d’explorer avec son équipe les MOF amorphes – non cristallins, qui permettent de former du verre transparent – et les MOF à changement de phase – qui, en faisant des boucles d’amorphe à cristallin, ouvrent la voie vers des mémoires durables.
DF : Parmi les autres réalisations de Smolab, nous avons développé une variante des MOF que nous appelons MOC, ou cages métallo-organiques (ou MOC). Ces structures hybrides organiques-inorganiques, comme les cages cuboctaédriques à base de rhodium, sont solubles et hautement réactives en catalyse.
MB : Notre partenariat avec l’Université de Kyoto s’accompagne également d’un volet industriel, puisque nous avons collaboré avec le groupe Air Liquide autour d’un projet sur le stockage sécurisé de l’acétylène, une molécule explosive. Dans ce cadre, j’ai pu travailler directement avec Susumu Kitagawa en tant qu’assistant professor, entre 2016 et 2021, ainsi qu’avec François-Xavier Coudert de l’Institut de recherche de chimie Paris1 .
- 1laboratoire CNRS/Chimie ParisTech-PSL
Quelles sont les perspectives pour la suite de cette collaboration franco-japonaise et les recherches sur les MOF de manière générale ?
DF : Après une période difficile en 2020-2022, marquée par la fermeture des frontières japonaises en raison de la pandémie de Covid-19, nous sommes heureux de voir que les échanges académiques et universitaires reprennent entre nos deux pays. A ce titre, nous pouvons saluer le rôle important des bourses de la Société japonaise pour la promotion de la science (JSPS), qui permettent à nos étudiantes et étudiants de partir un à deux ans dans un laboratoire japonais.
AD : Le Prix Nobel donne un nouveau souffle à la communauté des MOF à un moment où un de ses pionniers, Susumu Kitagawa, s’éloigne de la recherche du fait de son âge (74 ans au moment de la réception du Prix Nobel). Il reste encore beaucoup à découvrir, que ce soit du point de vue des nouvelles propriétés des MOF, comme la conductivité et le stockage de l’information, ou encore de mises en forme inédites, comme le liquide ou le verre. Cette perspective s’inscrit d’ailleurs tout à fait dans la thématique « Matériaux du futur », un des six défis transverses identifiés par le CNRS.
MB : Même après le départ de Susumu Kitagawa, l’IRCELYON entend bien poursuivre ses collaborations avec ses collaborateurs, tels que Satoshi Horike, Shuhei Furukawa, ou plus récemment Daisuke Tanaka. C’est le début d’un nouveau chapitre !
Rédacteur : CD