Verdir les activités de la recherche en chimie : des scientifiques du CNRS partagent leur analyse

Développement durable Résultats scientifiques

Des chercheurs et chercheuses ont entrepris de quantifier l’empreinte carbone de trois laboratoires de chimie. Dans un article paru dans la revue Green Chemistry, ils proposent un ensemble de solutions pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 50% d’ici 2030. De l’individu au gouvernement, en passant par le laboratoire et l’université, l’ensemble de la communauté est concerné par cette démarche.

Réduire l’empreinte environnementale des activités de recherche est un enjeu de plus en plus prégnant pour la communauté scientifique. Pourtant, les démarches qui visent à quantifier les émissions de gaz à effet de serre des laboratoires et à proposer des stratégies d’atténuation sont encore peu nombreuses. Les débats sont souvent axés sur le rôle des grandes infrastructures et des déplacements pour participer aux conférences internationales plutôt que sur l’impact des activités de recherche en elles-mêmes.

Dans un article paru dans Green Chemistry, trois laboratoires de chimie français, le Laboratoire de spectroscopie pour les interactions, la réactivité et l'environnement (CNRS/Université de Lille), l’Institut des sciences chimiques de Rennes (CNRS/Université de Rennes/ENSCR/INSA Rennes) et l’Institut des sciences moléculaires (CNRS/Bordeaux INP/Université de Bordeaux) ont évalué leur empreinte pour décrire au mieux d’où viennent les gaz à effet de serre émis par la chimie académique. Et, fait rare, ils se sont également penchés sur des pistes pour réduire de 40-50% ces émissions d’ici 2030 par rapport à 2019, en adéquation avec les objectifs fixés par le Plan Climat-biodiversité publié en 2022 par le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.

Fondant leur étude sur l’application open-source GES 1point5, développée dans le cadre du Groupement de Recherche Labos 1point5,* l’équipe a considéré quatre postes émissifs : l’usage et le chauffage des bâtiments, la consommation de biens et services, les déplacements professionnels et les trajets domicile-travail.

Les chercheurs ont constaté que deux catégories inattendues dominent les émissions des trois laboratoires. D’une part, les achats de biens et services, en particulier liés aux équipements de laboratoire et aux consommables, représentent entre 32 et 42% des émissions. Ils peuvent être réduits en augmentant leur durée de vie ou en faisant l’objet d’une mutualisation. D’autre part, la consommation énergétique, qui correspond à 30%-43% des émissions, est notamment due au chauffage des bâtiments et à l’emploi d’équipements spécifiques comme les hottes et les systèmes de refroidissement. La transition vers les énergies renouvelables et l’installation de panneaux solaires peuvent contribuer à une diminution significative.

Les missions, quant à elles, représentent une part moindre (11 à 16%), bien qu’elles concentrent une grande partie de l’attention du milieu académique. Sans surprise, les voyages en avion dominent largement les émissions liées aux déplacements professionnels (entre 87 et 92%). L’utilisation de moyens de transport moins carbonés, comme le train, ou la diminution de la fréquence des vols, constituent la principale piste de réduction. De même, les trajets du quotidien (8-12% des émissions) sont fortement impactés par l’utilisation de la voiture. Le recours au télétravail pour les tâches non-expérimentales telles que la rédaction et l’analyse des données, ainsi que l’encouragement des mobilités douces (marche, vélo) ou moins polluantes (transports en commun, covoiturage) font partie des solutions avancées.

En combinant toutes ces solutions, l’étude ouvre la voie à une réduction très encourageante de 40 à 55% de l’impact carbone des trois laboratoires d’ici 2030. Elle élargit également le débat sur la nécessité de considérer d’autres facteurs environnementaux que les seules émissions de gaz à effet de serre, comme l’emploi de substances toxiques et l’usage de l’eau. Enfin, au-delà des actions à l’échelle individuelle et du laboratoire, elle interroge le rôle du système académique actuel dans son ensemble.

*L’application GES 1point5

GES 1point5, développé par Labos 1point5, est un outil qui permet de calculer l’empreinte carbone et de construire le bilan gaz à effet de serre (BGES) réglementaire d’un laboratoire. Il remplit deux objectifs : mener des études scientifiques relatives à l’empreinte carbone de la recherche publique française et nourrir la réflexion sur les leviers d'actions permettant de réduire l’impact des activités de recherche sur les émissions de gaz à effet de serre.

Analyse du scénario d'atténuation pour les trois laboratoires. Émissions de GES par catégorie en 2019, et projetées en 2030, si les stratégies d'atténuation discutées dans ce travail étaient mises en œuvre.© Chloé Grazon

Référence

Carbon footprint and mitigation strategies of three chemistry laboratories
André Estevez-Torres, Fabienne Gauffre, Guillaume Gouget, Chloé Grazon, Philippe Loubet
Green Chemistry 2024
https://doi.org/10.1039/D3GC03668E

Contact

André Estevez-Torres
Chercheur au Laboratoire de spectroscopie pour les interactions, la réactivité et l'environnement (CNRS/Université de Lille) et au Laboratoire Jean Perrin (CNRS/Sorbonne Université)
Fabienne Gauffre
Chercheuse à l’Institut des sciences chimiques de Rennes (CNRS/Université de Rennes/ENSCR/INSA Rennes)
Guillaume Gouget
Chercheur à l’Institut des sciences chimiques de Rennes (CNRS/Université de Rennes/ENSCR/INSA Rennes)
Chloé Grazon
Chercheuse à l'Institut des sciences moléculaires (CNRS/Université de Bordeaux/Institut polytechnique de Bordeaux)
Philippe Loubet
Enseignant-chercheur à l’Institut des sciences moléculaires (CNRS/Bordeaux INP/Université de Bordeaux)
Communication CNRS Chimie