Un demi-milliard d’heures de calcul pour lutter contre le Covid-19

Entretiens

Pendant la crise du Covid-19, un partenariat pour l’informatique avancée en Europe (Prace) intégrant 26 pays européens et les cinq plus grands centres européens de supercalculateurs, a mobilisé plus d'un demi-milliard d'heures de calcul pour des projets sur des simulations liées à la lutte contre la pandémie dans un appel "accéléré". Marc Baaden, chercheur du CNRS au Laboratoire de biochimie théorique et membre de Prace nous en dit plus.

Comment s’est déroulée la coordination d’un tel projet entre tous les pays ?

Il y avait deux défis à relever. D'abord, mettre en place une structure simple et efficace pour traiter rapidement des demandes d'heures de calcul conséquentes, puis s'assurer que les projets proposés pourraient faire avancer la lutte contre la pandémie dans un temps relativement court. Pour cela, un comité de 6 scientifiques réuni quotidiennement a réalisé une première sélection et redirigé les projets retenus vers au moins deux experts du domaine duquel relevait le projet. L’avis de ces deux experts était décisif pour que les centres de calculs européens puissent attribuer un temps de calcul aux équipes-projets. Une démarche qui pose un certain nombre de questions comme, faut-il privilégier un domaine qui parait particulièrement prometteur et lancer plusieurs projets relativement similaires, ou plutôt privilégier la diversité des questions centrales pour l’attribution d’heures de calcul intensif urgent ("Urgent computing"), pour répondre à des défis sociétaux comme la pandémie mais également les tremblements de terre ou autres catastrophes naturelles.

 

A quels résultats est parvenu le comité scientifique de PRACE, qu’a rendu possible cet effort de recherche européen ?

Pour l'instant on manque encore de recul pour analyser les résultats scientifiques, notamment pour les études biostructurales, l'amarrage et le criblage à des fins pharmaceutiques, la dynamique des fluides pour étudier la propagation et la transmission des gouttelettes du virus, la modélisation des organes pour soutenir le diagnostic et le traitement de la maladie. Cependant, nous avons pu évaluer le processus optimal pour implémenter le calcul dans l’urgence et l’anticiper de façon pérenne. En terme de couverture, nous avons reçu 80 sollicitations de 22 pays sur 6 domaines scientifiques majeurs, allant du niveau atomique jusqu'à des approches épidémiologiques. Si les scientifiques travaillant dans le champ des simulations atomistiques sont très demandeurs d'heures de calcul, pour d’autres domaines, la démarche de solliciter des heures de calcul sur des supercalculateurs européens est nouvelle. Cette dernière est catalysée par la situation pandémique. On constate également que la demande reste très ancrée dans les disciplines, alors qu'on soupçonne un énorme potentiel dans des approches trans-disciplinaires, qu'il faudrait encourager.

 

Quelle est la diversité de compétences et des super-calculateurs qui se dégage selon les pays et qui montre l’intérêt de cette complémentarité ?

Il y a une diversité technique et technologique au niveau du matériel mis à disposition qui permet une redirection assez fine de chaque projet afin d'optimiser l'utilisation des ressources, mais aussi une diversité en terme d'accompagnement. Certains projets sont techniquement très précisément délimités et ne demandent que l'attribution des heures pour pouvoir lancer les calculs immédiatement, d'autres nécessitent une implication forte du centre de calcul pour passer à une échelle d'exécution supérieure à la normale. Ainsi, à notre demande, certains projets ont bénéficié d’un accompagnement par des équipes dédiées, les High Level Support Teams de PRACE. Ces calculs produisent souvent une grande quantité de données et leur analyse fait partie intégrante du projet tirant par exemple profit d'approches comme l'intelligence artificielle pour laquelle il peut exister des centres dédiés également.

baaden
©Marc Baaden

Référence

Núria López, Luigi Del Debbio, Marc Baaden, Matej Praprotnik, Laura Grigori, Catarina Simões, Serge Bogaerts, Florian Berberich, Thomas Lippert, Janne Ignatius, Philippe Lavocat, Oriol Pineda, Maria Grazia Giuffreda, Sergi Girona, Dieter Kranzlmüller, Michael M. Resch, Gabriella Scipione & Thomas Schulthess
Lessons learned from urgent computing in Europe: tackling the COVID-19 pandemic
PNAS 2021

https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34772803/

 

 

Contact

Marc Baaden
Chercheur au Laboratoire de biochimie théorique
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS
Anne-Valérie Ruzette
Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC