Trois questions à Erick Dufourc et Dario Bassani sur le vin et la chimie

Entretiens

La chimie est partout, jusque dans nos verres ! Co-auteurs de l’ouvrage Étonnante Chimie publié chez CNRS Éditions, Erick Dufourc, chercheur au laboratoire Chimie et biologie des membranes et des nanoobjets (CNRS/Institut polytechnique de Bordeaux/Université de Bordeaux), ex-directeur adjoint scientifique de l’INC et Dario Bassani, chercheur à l’Institut des sciences moléculaires (CNRS/Institut polytechnique de Bordeaux/Université de Bordeaux) présentent comment la chimie vient en aide aux viticulteurs et aux épicuriens.

Erick Dufourc présentera une conférence sur le sujet le 23 juin 2022 à l'occasion de l'AXELERA Day.

Quels sont les liens entre le vin et la chimie ?

Erick Dufourc – Le vin est issu d’un processus de chimie douce où le grain de raisin contient naturellement tous les ingrédients nécessaires à la vinification, comme les sucres et les levures. Il a probablement été découvert par hasard via des fruits fermentés, puis les hommes ont voulu reproduire et comprendre ce phénomène naturel. Les plus anciennes traces de vin ont été retrouvées en Géorgie dans des jarres vieilles de 8000 ans, mais ce n’est que relativement récemment que les mécanismes de sa formation ont été vraiment compris. Louis Pasteur a notamment découvert le rôle des levures dans la fermentation des raisins, ce qui a permis d’améliorer la durée de conservation du vin, alors limitée à une année environ.

Dario Bassani – Aujourd’hui, la chimie et ses méthodes d’analyse aident les viticulteurs à renforcer certains traits, à éliminer des défauts gustatifs et à allonger la durée de conservation de leur production.

 

Comment en êtes-vous venu à travailler sur le vin ? Est-ce lié au fait que vos laboratoires se situent à Bordeaux ?

Erick Dufourc – En ce qui me concerne, oui ! J’ai été contacté il y a longtemps par le CIVB, le conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux, et je suis ami avec le doyen de la faculté d’œnologie de Bordeaux. J’étais plutôt centré sur la chimie physique, mais, à force de discussions avec des acteurs de la vigne, j’ai commencé à travailler également sur les molécules du vin.

Dario Bassani – La région bordelaise m’a sensibilisé à ces problématiques mais je n’ai pas encore de lien avec les vignerons locaux. La présence d’une collection de bouteilles vides de bons crus dans la salle de repos de l’ISM m’a par contre grandement inspiré sur un de mes projets !

 

Quels sont vos thèmes de recherche liés au vin ?

Dario Bassani – Eh bien justement, l’histoire des bouteilles est liée à l’apparition du goût de lumière dans des vin blancs et le Champagne. S’ils sont exposés trop longtemps à la lumière, ils développent en effet un goût de choux cuit, voire de serpillière, dû à la photooxydation de certains acides aminés. C’est d’ailleurs pour cela que le verre des bouteilles est opaque, mais cette protection ne suffit pas toujours. J’ai donc collaboré avec le producteur de Champagnes G. H. Mumm et nous avons déposé, en 2021, un brevet sur le piégeage des précurseurs du goût de lumière. Les produits ainsi traités ne le développent plus du tout.

J’ai également développé, en collaboration avec une équipe fribourgeoise, des capteurs pour le goût de bouchon, qui est dû à la molécule 2,4,6-trichloroanisole (TCA). Ces capteurs sont faits en matériaux en forme d’éponge dont la fluorescence est éteinte lorsqu’ils sont mis en contact avec du vin contenant du TCA. Nous travaillons depuis à des systèmes équivalents pour déceler, dans les vins importés, la présence de pesticides interdits en UE.

Erick Dufourc – Je travaille, avec mes collaborateurs, aussi sur le goût du vin, notamment sur l’astringence, une sensation de sécheresse dans la bouche que l’on retrouve souvent dans les puissants vins de Bordeaux. Nous avons découvert que l’astringence est due à la réaction entre les tannins du vin et des protéines de la salive, chargées de lubrifier le palais. Ces dernières disparaissent alors sous forme d’agrégats et ne remplissent plus leur rôle protecteur. L’idée m’est venue lors d’une dégustation de Petrus qui n’avait pas encore été filtré naturellement par du blanc d’œuf. L’association des tannins et de la salive joue aussi, à l’inverse, sur la sensation de velours. Nous avons également étudié les interactions entre les tannins et les lipides, qui expliquent les sensations que l’on a quand on combine vin rouge et fromages.

Enfin, notre équipe étudie le dépérissement de la vigne (mort des ceps) avec le soutien du ministère de l’Agriculture et de la profession vitivinicole. Nous cherchons les marqueurs moléculaires de leur sensibilité aux champignons parasites, grâce à des techniques non invasives comme la résonance magnétique nucléaire.

dufourc
L'émission d'un matériau de coordination poreux est extrêmement sensible à la présence de 2,4,6-trichloroanisole (TCA) responsable du gout de bouchon dans les vins. © Serhii Vasylevskyi.
dufourc 2
Vision moléculaire des interactions tannins -salive : à droite piégeage macroscopique des protéines de la salive qui lubrifient le palais (astringence), à gauche la sensation de velours avec des associations douces, nanométriques (sensation de velours). © Olivier Cala et al. https://doi.org/10.1021/la303964m

 

Contact

Erick Dufourc
Chercheur à l'INSTITUT DE CHIMIE ET DE BIOLOGIE DES MEMBRANES ET DES NANOOBJETS (CBMN)
Dario Bassani
Chercheur à l'Institut des sciences moléculaires
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS
Anne-Valérie Ruzette
Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC