Trois questions à Benjamin Rotenberg et Patrice Simon sur les supercondensateurs

Entretiens

Cousins des batteries, les supercondensateurs sont plus puissants que ces dernières et offrent une meilleure durée de vie, mais ils stockent en revanche moins d’énergie. Auteurs du chapitre Supercondensateurs – les sprinteurs du stockage de l’énergie[1] dans l'ouvrage Etonnante chimie, Benjamin Rotenberg, directeur de recherche au laboratoire PHENIX[2] (CNRS/Sorbonne Université) et Patrice Simon, professeur à l’université de Toulouse III - Paul Sabatier et membre du CIRIMAT[3] (CNRS/Institut national polytechnique de Toulouse/Université Toulouse - Paul Sabatier), présentent des pistes pour démocratiser ces composants.

Pourquoi les supercondensateurs ne sont-ils pas plus souvent utilisés ?

Patrice Simon – Le principal blocage se situe au niveau de la densité d’énergie, c’est-à-dire la quantité d’énergie qu’un supercondensateur peut stocker par unité de masse. Aujourd’hui, les batteries lithium-ion peuvent emmagasiner 250 à 300 watts-heure par kilo, contre seulement une dizaine pour les supercondensateurs à électrodes en carbone. Les applications se développeront une fois que cette valeur aura augmenté.

Pour prendre un exemple sur les transports, un véhicule à batterie lithium-ion atteint une autonomie d’environ 500 kilomètres, puis a besoin d’être rechargé pendant plusieurs heures. Un supercondensateur à la densité d’énergie améliorée ne tiendrait peut-être que 250 kilomètres, mais il pourrait se recharger en moins de dix minutes.

Comment étudiez-vous les supercondensateurs ?

Patrice Simon – Les supercondensateurs stockent l’énergie en capturant des ions à l’intérieur des pores d’électrodes généralement en carbone. La taille de ces pores joue énormément sur les performances des supercondensateurs, mais nous nous sommes rendu compte que l’organisation locale du carbone des électrodes jouait aussi un rôle essentiel. Le carbone poreux est amorphe, mais nos travaux ont aussi récemment montré que la modification locale de sa structure, en se rapprochant de celle du graphène qui est un excellent conducteur de charges électriques, augmente les interactions entre les ions et le carbone, ainsi que la charge stockée.

Nous voulons comprendre quelle est l’organisation optimale du carbone pour améliorer les supercondensateurs. Car si une électrode en graphène pur pourrait sembler idéale, ce matériau très peu dense réclame un volume trop important pour des applications du quotidien.

Benjamin Rotenberg – C’est une histoire de compromis entre ordre et désordre. Par exemple, des petits pores dans les électrodes stockent mieux les ions, mais ils compliquent le transport des charges électriques. Or l’intérêt des supercondensateurs provient de leur capacité à se charger et décharger rapidement.

Avec mon collègue Mathieu Salanne, nous construisons donc des simulations pour prédire le comportement de la matière lors du stockage des ions à l’intérieur des pores. Nos simulations reposent sur des calculs de trajectoire des atomes et des molécules, mais il faut en plus décrire des comportements qui ne sont pas pris en compte par les codes de dynamique moléculaire classiques de la chimie moléculaire. Nous avons ainsi développé un code adapté aux interfaces électrochimiques entre un métal et un liquide : MetalWalls.

Patrice Simon – D’un point de vue institutionnel, le Réseau sur le stockage électrochimique de l’énergie (RS2E) est un levier essentiel des travaux de la communauté des supercondensateurs. Il a accéléré les rencontres entre chercheurs afin d’unir nos efforts pour sonder la matière et confirmer les prédictions théoriques.

Quelles sont les pistes pour augmenter la densité d’énergie des supercondensateurs ?

Patrice Simon – Il faut capturer davantage d’ions dans un même volume d’électrodes, ce qui demande de mieux comprendre leurs interactions. Une approche possible utilise des matériaux que l’on retrouve dans les batteries, et qui stockent l’énergie par échanges d’électrons (réactions rédox) plutôt que par absorption des ions. Cela ferait le lien entre batteries et supercondensateurs, et pourrait aboutir à des densités d’énergie de 50 watts-heure par kilo.

Benjamin Rotenberg – Cela pose encore de nombreux défis de modélisation pour décrire la réactivité de toutes les espèces chimiques en présence, qui doit être prise en compte pour ces nouvelles applications.

[1] Co-écrit avec Mathieu Salanne, professeur à Sorbonne Université et membre du laboratoire PHENIX.

[2] Physicochimie des électrolytes et nanosystèmes interfaciaux.

[3] Centre interuniversitaire de recherche et d’ingénierie des matériaux.

Contact

Benjamin Rotenberg
Chercheur au laboratoire Physicochimie des électrolytes et nanosystèmes interfaciaux (CNRS/Sorbonne Université)
Patrice Simon
Chercheur au Centre interuniversitaire de recherche et d'ingéniérie des matériaux (CNRS/Institut national polytechnique de Toulouse/Université Toulouse - Paul Sabatier)
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC
Anne-Valérie Ruzette
Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS