Simulations moléculaires : une nouvelle voie pour contrôler la cristallisation de polymères industriels

Résultats scientifiques

Des scientifiques du CNRS et de TotalEnergies ont réussi une prouesse : simuler la cristallisation d’un matériau polymère industriel constitué de très longues chaînes ramifiées. Loin des systèmes modèles étudiés jusqu’ici, cette étude ouvre de nouvelles voies pour contrôler la corrélation entre architecture moléculaire, propriétés et mise en œuvre des matériaux plastiques semi-cristallins comme le polyéthylène (PE).

Avec plus de 100 millions de tonnes produites par an dans le monde, le polyéthylène (PE) est le polymère chimiquement le plus simple et le plus répandu. Et pourtant, comprendre comment l’architecture moléculaire, à savoir la distribution de longueur des chaînes de polymère et leur degré de ramification, contrôlent les propriétés du matériau plastique final reste un réel défi.  En particulier, la cristallisation, qui gouverne largement l’aspect et les propriétés du PE, dépend de l’architecture des chaînes. Observer directement ce phénomène est quasiment impossible, même avec des instruments à haute résolution à la pointe de la technologie.

Dès les années 1960, des expériences ont été menées sur des systèmes modèles constitués de chaînes plus courtes, des alcanes. Les résultats obtenus ont largement contribué à la compréhension de la cristallisation des polymères, avec notamment la découverte du repliement des chaînes sur elles-mêmes pour former un cristal, l'influence de l’architecture des chaînes sur l'épaisseur du cristal et la température de fusion. Ces avancées ont aidé à la conception des polymères industriels utilisés aujourd’hui. Mais ces derniers ont des structures hiérarchiques complexes constituées de mélanges de polymères ramifiés de différentes longueurs. Leur cristallisation est un processus cinétique, hors équilibre, qui complique grandement la corrélation entre structure, propriétés et conditions de mise en œuvre.

Les simulations moléculaires apparaissent aujourd’hui comme une nouvelle voie pour comprendre ces corrélations. Des modèles de polymères de plus en plus réalistes, des codes de simulation moléculaire très efficaces, une forte augmentation de la puissance de calcul et la mise à disposition des grappes de calcul à haute performance, comme le Centre national de supercalcul GENCI/IDRIS pour le CNRS, permettent des simulations sur des chaînes de polymères de plus en plus longues et complexes.

Dans le cadre d'une récente collaboration entre TotalEnergies et le CNRS, des chercheurs de l'Institut Charles Sadron (CNRS/Université de Strasbourg) ont simulé la croissance de monocristaux de PE d'une taille jamais atteinte. Leurs résultats révèlent la structure multicouche des cristaux avec des détails sans précédent. En outre, ils démontrent qu'il est possible de contrôler la structure et l'épaisseur des couches en introduisant simplement quelques branches supplémentaires le long des chaînes. Ceci est particulièrement important pour les applications industrielles puisque la structure moléculaire à petite échelle détermine les propriétés mécaniques à grande échelle, comme la ténacité à la rupture ou la résistance aux chocs. L'optimisation de ce processus pourrait conduire à la conception et à la fabrication de nouveaux polymères encore plus performants. Ces résultats sont à retrouver dans la revue ACS Macro Letters.

Rédacteur: AVR

Le plus grand cristal de polymère multicouche jamais obtenu par des simulations de dynamique moléculaire. Les chaînes jaunes et violettes correspondent aux régions cristallines (ordonnées) et amorphes (dé-sordonnées) avec une structure de type "fondu". Les points bleus représentent des branches de chaînes courtes. © William S. Fall

Référence

Molecular Simulations of Controlled Polymer Crystallization in Polyethylene
Fall, W. S., Baschnagel, J., Benzerara, O., Lhost, O., & Meyer, H
ACS Macro Letters 2023

https://doi.org/10.1021/acsmacrolett.3c00146

 

Contact

William Fall
Chercheur au Laboratoire de physique des solides (CNRS/Université Paris-Saclay)
Hendrik MEYER
Chercheur à l'Institut Charles Sadron (CNRS/Université de Strasbourg/INSA de Strasbourg))
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC
Anne-Valérie Ruzette
Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS