Samuel Marre étudie le stockage et la conversion du CO2 sous terre grâce à ses laboratoires de poche

Entretiens Environnement

Samuel Marre – Chercheur à l'Institut de chimie de la matière condensée de Bordeaux

C’est bien connu, la matière connaît 3 états : solide, liquide et gazeux. Pourtant, à hautes température et à hautes pressions un autre domaine existe, où liquide et gaz ne peuvent être distingués : le fluide supercritique. À Bordeaux, Samuel Marre s’est fait une spécialité dans la création d’outils et de protocoles pour étudier et utiliser les fluides dans ces conditions particulières aux petites échelles. Les applications sont nombreuses comme le développement de procédés durables ou le stockage et la bioconversion géologique du CO2.

Samuel Marre est un chercheur habitué à travailler sous pression. Une pression doublée de haute température pour ce normand émigré à Bordeaux depuis 2000. On ne parle pas ici de la pression de la recherche de nouveaux financements, passage obligé pour tous les chercheurs, ni même de la différence de températures entre les coteaux bordelais et les pommeraies normandes, mais bien des caractéristiques physiques qui s’appliquent à son domaine de recherche : les fluides supercritiques.

Les procédés supercritiques 
Le domaine supercritique existe pour toutes les espèces chimiques. Au-delà d’une certaine température et d’une certaine pression, la distinction entre l’état gazeux et l’état liquide n’est plus possible, le fluide est donc à la fois liquide et gaz mais ni vraiment l’un, ni vraiment l’autre. « C’est un domaine très intéressant », lance le chercheur. « Une fois le point critique passé, on peut jouer sur la température et la pression pour atteindre pratiquement toute la gamme de densité et de viscosité possible entre l’état gazeux et l’état liquide. » Ainsi, la densité du CO2 supercritique peut facilement être modulée entre 200 et 900 kilogrammes par mètre cube.

Le dioxyde de carbone, justement, est l’un des fluides supercritiques qui est le plus utilisé actuellement. Son point critique (31°C et 73,9 bar) est relativement accessible ce qui lui permet d’être utilisé dans différents domaines comme la synthèse de matériaux ou l’extraction. L’industrie l’utilise par exemple pour extraire la caféine des grains de café sans utiliser de solvants polluants. « Le problème, c’est que l’on travaille à haute pression », pointe Samuel Marre. « Le protocole est proche de celui d’une cocote-minute. Résultat : il est difficile d’observer à l’intérieur des réacteurs pour améliorer notre compréhension des processus haute pression. Il existe bien des systèmes équipés de fenêtres en saphir, mais cela coûte très cher et le champ de vision reste réduit. »

« Savoir saisir les opportunités quand elles se présentent »
Les choses auraient pu en rester là mais Samuel Marre a une idée. « En 2007, après ma thèse, je me suis dit que l’on pourrait observer les fluides supercritiques aux petites échelles en utilisant des approches microfluidiques. Je suis donc parti dans le laboratoire de Klavs Jensen, au Massachusetts Institute of Technology, en post-doc. Je suis tombé au bon endroit, au bon moment. Il y avait alors peu d’étudiants et les budgets n’étaient pas encore fixés. Jensen me dit : "Tu as $100 000 cette année, trouve-moi quelque chose et on en reparle l’année prochaine." » Ce « quelque chose », Samuel Marre le matérialise dans un outil transparent capable de contenir des fluides jusqu’à 300 bar et qui tient sur sur une puce de carte bleue. « À cette échelle, la mécanique des fluides reste la même et on peut faire varier les conditions expérimentales très vite. C’est parfait pour revisiter tous les procédés déjà connus et faire de l’expérimentation haut débit. »

Après ce passage au MIT, Samuel Marre échoue 2 fois aux portes des concours pour un poste au CNRS. « L’excellence scientifique ne suffit pas pour intégrer un laboratoire du CNRS : les autres postulants en sont également pourvus. » Il réussira le concours en 2009 mais la poursuite des travaux reste compliquée. « Les deux premières années, j’ai eu du mal à trouver des financements. Mais aujourd’hui, c’est gagné ! Mes laboratoires de poche, ou « lab on a chip », sont utilisés dans de nombreux projets, comme sur les études liées à la réduction du CO2 anthropique, notamment le captage et le stockage géologique du CO2 ou l’optimisation de procédés. J’ai même réussi à obtenir un projet ERC pour évaluer sur la valorisation du CO2 en méthane dans les milieux géologiques grâce à des micro-organismes (projet BIG MAC – www.erc-bigmac.cnrs.fr). L’ouverture à des nouvelles disciplines et l’interdisciplinarité me font constamment évoluer et repenser mes travaux. Mon parcours m’a rendu apte à savoir saisir les opportunités quand elles se présentent ! »

Contact

Samuel Marre
Institut de chimie de la matière condensée de Bordeaux
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS
Sophie Félix
Chargée de communication
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC