Rodolphe Clérac, prix « Lectureship in Chemical Sciences » 2022 de la Royal Society of Chemistry
Rodolphe Clérac, directeur de recherche CNRS au Centre de recherche Paul Pascal (Pessac) et responsable du groupe « Matériaux moléculaires & magnétisme » reçoit le prix « Lectureship in Chemical Sciences » 2022 de la Royal Society of Chemistry, attribué alternativement par la Royal Society of Chemistry et la Société Chimique de France. Cette distinction récompense ses développements de nouveaux domaines de recherche en magnétisme moléculaire et ses contributions originales à l'étude des matériaux magnétiques.
Son équipe s'intéresse plus particulièrement à la structuration de la matière au niveau atomique en organisant des métaux et des molécules organiques pour favoriser une ou plusieurs propriétés physiques ciblées. Ses travaux impliquent toujours une forte synergie entre la chimie et la physique, et c'est cette dualité qui anime ses projets sur les aimants moléculaires et plus généralement sur les matériaux magnétiques à base de molécules. Ses résultats récents offrent de nombreuses perspectives pour la préparation de nouvelles générations de matériaux magnétiques légers qui pourraient trouver des applications dans l'aéronautique, les technologies spatiales ou mobiles et plus généralement l'électronique de demain.
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La Royal Society of Chemistry vient de vous attribuer le prix 2022, « Lectureship in Chemical Sciences » : que représente pour vous cette distinction et quel est son impact ?
Une distinction, quelle qu’elle soit, est à plusieurs titres un évènement important dans la vie d’un chercheur. C’est tout d’abord une reconnaissance. Celle des collègues scientifiques qui ont présenté ma candidature à ce prix et plus largement celle de la communauté scientifique qui, de cette façon, manifeste l’intérêt qu’elle porte aux travaux de mon équipe et le désir de les voir se poursuivre. C’est ce soutien, plus que le prix en lui-même que je reçois comme un encouragement. C’est également une manière de valider mes choix scientifiques, la façon dont je mène les recherches de mon équipe et les résultats obtenus durant maintenant plus de 20 ans. Cela me donne en quelque sorte le sentiment d’être dans la bonne direction, d'avoir le bon cap, même si la recherche scientifique s’accompagne toujours d'une grande incertitude et d'une remise en cause permanente. Au-delà, cette distinction augmente notre visibilité et permet ainsi de prendre de nouveaux contacts, voire de démarrer des collaborations avec des équipes dont nous n’étions pas particulièrement proches. Pour conclure sur ce point, je dirais qu’il est essentiel pour un scientifique d’accepter le regard des autres scientifiques, bienveillant dans l’attribution d’un prix, plus critique lors de la remise en cause d’hypothèses issues d'échanges et de confrontations scientifiques.
Cependant, chaque médaille a son revers. Ces 20 dernières années, la carrière de chercheur a évolué très rapidement et certaines activités autrefois annexes ont pris le pas sur le cœur de notre métier. En ce sens, la reconnaissance peut parfois contribuer à éloigner le chercheur du terrain, ou de la paillasse pour les chimistes, en le menant vers des activités incluant une part de plus en plus grande dédiée à la gestion de la recherche et à son environnement administratif. Personnellement, j’essaie de rester le plus possible acteur de ma recherche, proche de mes expériences, en privilégiant sa mise en œuvre expérimentale, en interaction permanente avec les membres de l’équipe.
- Est-ce que le caractère international de cette distinction représente une dimension particulière ?
C’est effectivement très important car cela traduit le caractère profondément international et collaboratif de la recherche scientifique moderne. La science n’a aucune frontière, même si la situation géopolitique actuelle met un peu à mal cet état de fait, et je pense que c’est sa dimension internationale qui la rend prolifique. A plusieurs reprises, mes travaux de recherche ont eu la chance de bénéficier d’une reconnaissance internationale avant d’être mis en avant par des récompenses nationales. Et c’est tout à fait normal car la plupart des travaux de l’équipe sont le fruit de collaborations internationales sans lesquelles, bien souvent, rien n’aurait pu aboutir. Actuellement, neuf nationalités sont représentées au sein de mon équipe et nous sommes même allés jusqu’à douze dans le passé. Pour tous les membres de mon équipe, c’est une richesse inestimable, culturelle et intellectuelle, dont je suis persuadé qu’elle contribue pour une grande part à cette reconnaissance internationale.
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La notion d’équipe apparaît de manière récurrente dans votre propos. Quelques mots sur votre groupe « Matériaux moléculaires & magnétisme » et son rôle dans vos travaux ?
Un prix scientifique est le plus souvent attribué à un individu. C’est regrettable dans la mesure où il récompense avant tout les efforts d’une équipe mais aussi d’un laboratoire et d’un environnement plus large incluant les organismes de tutelle locaux et nationaux. Travailler en équipe, c’est mettre l’expertise de chacun à la disposition de tous. Aujourd'hui, la science ne peut pas être développée par des individus isolés, elle est le fruit d’une construction mentale collective et les « déclics », ou avancées majeures, naissent des interactions entre scientifiques au sein d’une équipe mais aussi au-delà. J'ai l'énorme privilège d'avoir été et d'être entouré par des scientifiques extraordinaires au jour le jour qui me permettent de vivre pleinement ma recherche. Mon rôle est de dynamiser, d'entretenir et d’enrichir les échanges intellectuels au sein de mon équipe. Cette notion de partage reflète la soif d’apprendre qui nous anime tous, le besoin de comprendre le monde qui nous entoure mais également la volonté de transmettre.
Cela se traduit dans mon équipe par une production scientifique que l’on qualifie de « fondamentale » et que l’on oppose souvent, à tort, à une recherche dite « appliquée ». Ces deux domaines sont indissociables car complémentaires et il n’y a aucune raison de les confronter comme cela est trop souvent fait. La recherche en lien direct avec les enjeux sociaux-économiques que nous connaissons tous se nourrit du socle de connaissances fondamentales que l’on se doit d’enrichir sans cesse, souvent sur des périodes de temps longs, parfois des décennies… Négliger cette production de connaissances pures n’ayant à priori aucune retombée technologique immédiate reviendrait à sérieusement hypothéquer l’avenir des générations futures.
Le CNRS et l’Université de Bordeaux m’ont toujours permis de mener ma recherche comme je le souhaitais en m’offrant un espace de liberté qui n’a pas de prix. C’est cette liberté que j’essaie d’offrir aux jeunes scientifiques que je côtoie tous les jours. Faire une partie du chemin avec eux, provoquer l’émerveillement dans le regard qu’ils portent sur leurs travaux sont des moteurs de ma passion pour la recherche scientifique que je souhaite transmettre.
Rédacteur : CCdM