Préserver les colonies d’abeilles grâce à la nutrition de précision : la mission d’Oligofeed

Distinctions Innovation

Fondée en 2023, Oligofeed développe un complexe nutritionnel innovant à base de molybdène, conçu pour améliorer la résilience et la performance des colonies. Son cofondateur, le chimiste Sébastien Floquet, revient sur ce parcours, au moment où la startup vient d’obtenir un financement majeur du Conseil européen de l’Innovation (EIC).

« C’est vrai que rétrospectivement, le thème des abeilles était assez improbable compte tenu des thématiques de recherche du laboratoire. » Quand Sébastien Floquet, enseignant-chercheur à l’Institut Lavoisier de Versailles1 , commence à étudier le molybdène en 2003, ses travaux portent d’abord sur la synthèse de molécules supramoléculaires, puis sur la production d’hydrogène.

En 2013, il saisit l’opportunité d’explorer des applications en biologie. Une orientation logique, puisque le molybdène est un oligo-élément impliqué dans une cinquantaine d’enzymes naturelles. « À cette époque, j’ai entamé une collaboration avec l’Académie des Sciences moldave. Mes collègues avaient coutume de “tout tester sur tout”. » C’est dans ce contexte qu’ils découvrent, presque par hasard, que quelques milligrammes d’un complexe à base de molybdène, incorporé dans un sirop sucré standard, entraînent des effets bénéfiques inattendus sur la santé et la productivité des colonies d’abeilles.

  • 1laboratoire CNRS/Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
Abeille domestique © Oligofeed

Un enjeu majeur pour les colonies

Le sujet est crucial : en tant qu’insectes pollinisateurs, les abeilles jouent un rôle indispensable dans le maintien de la biodiversité et la production alimentaire. Pourtant, leurs populations connaissent un déclin préoccupant à l’échelle mondiale. En Europe, les apiculteurs perdent chaque année entre 30 et 40% de leurs ruches. Cette mortalité massive constitue un défi économique majeur, obligeant les apiculteurs à renouveler constamment les colonies disparues.

Sébastien Floquet décide alors de développer cette thématique de recherche. Les financements se multiplient : Institut universitaire de France, CampusFrance, Labex Charmmmat, IDEX Paris-Saclay, Fondations UVSQ et Lune de miel, CNRS. Fort de ce soutien, il développe un réseau de collaborations interdisciplinaires avec des biologistes (IDEEV, Gif-sur-Yvette), des physiciens (IJCLab, Orsay) et des apiculteurs professionnels, en complément de la collaboration avec l’Académie des Sciences de Moldavie.

Parmi les missions de ce consortium : identifier le complexe le plus actif, affiner son dosage dans les ruches, démontrer sa non-toxicité, mais aussi mieux comprendre son mode de fonctionnement dans l’organisme des abeilles. Un projet financé par la Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires du CNRS permet ainsi de démontrer une augmentation du taux de molybdène dans le cerveau et les glandes hyopharyngiennes, deux organes clés. Par ailleurs, en renforçant l’état général de la colonie, l’administration du complexe s’accompagne d’une hausse de la production de miel jusqu’à +49%1 .

  • 1 A. Fuior et al. Feed supplementation with molybdenum complexes improves honey bee health. Inorganic Chemistry Frontiers 2025 DOI 10.1039/d5qi00878f
C’est passionnant de voir ses recherches déboucher sur quelque chose de concret.

Montée en puissance

Le soutien de la SATT Paris-Saclay1  permet à l’équipe de protéger cette innovation avec un dépôt de brevet international2  et de faire progresser la maturité technologique (TRL). La start-up Oligofeed est finalement créée en 2023 grâce à la rencontre de Sébastien Floquet et d’Aneta Ozieranska, ingénieure centralienne qui en devient Chief Executive Officer (CEO).

Les tests terrain se développent en France, en Italie et en Espagne. Il est ainsi démontré en 2023-2024, sur 6 ruchers professionnels, que quelques milligrammes d’un complexe de molybdène suffisent pour faire baisser la mortalité des abeilles de 27 à 75%, soit 44% en moyenne3 . Un résultat exceptionnel dans le contexte actuel.

Le soutien décisif de l’Europe

La jeune pousse multiplie les distinctions : concours i-Lab de Bpifrance, prix INPI France et grand prix du Salon des Inventions de Genève en 2023, prix Tech for Future, palmarès des 100 inventeurs de l’année du magazine Le Point en 2024. La dernière en date : un financement européen de 2,5 millions d’euros, obtenu fin juin 2025 dans le cadre du programme EIC Accelerator.

Moins connu que le Conseil européen de la recherche (ERC), dont les différentes bourses appuient la recherche fondamentale, le Conseil européen de l’Innovation (EIC) soutient le transfert de découvertes vers le marché. L’objectif du programme EIC Accelerator est de donner un coup de pouce à des startups existantes avant l’industrialisation de leurs produits. « Nous sommes très fiers, car c’était notre première tentative et le taux de succès n’est que de 5% », se réjouit Sébastien Floquet. Sur les 40 startups lauréates cette année, seules trois étaient françaises, dont Oligofeed.

  • 1Les SATT, Sociétés d’Accélération du Transfert de Technologies, ont été créées dans le cadre du Programme des Investissements d’Avenir (PIA). Elles financent le développement technologique des innovations issues des laboratoires de recherche publique en France pour les accompagner jusqu'à leur transfert vers des entreprises ou la création de la startup.
  • 2« Complément alimentaire à base de molybdène pour les abeilles ». A. Fuior, S. Floquet, V. Cebotari, D. Cebotari, A. Gulea, I. Toderas. Brevet européen n°EP4185594B1 (délivré le 04/12/2024). Instruction en cours aux États-Unis, Canada, Argentine et Chine.
  • 3 Benito-Murcia et al., 2025. Preprint sur BioRxiv DOI 10.1101/2025.07.23.666091
Complexe de molybdène © Oligofeed

Entre deux mondes

Les prochaines étapes sont désormais identifiées : « Après avoir testé notre produit sur 1500 ruches dans six pays, nous souhaitons la produire et la mettre sur le marché en Europe et aux États-Unis », explique l’enseignant-chercheur. Des procédures réglementaires longues et complexes qui illustrent la différence entre les mondes académique et industriel et pour lesquelles le soutien de l’EIC sera indispensable. « Le calendrier est beaucoup plus contraint qu’en recherche fondamentale », constate l’enseignant-chercheur. En parallèle, l’équipe envisage de développer son activité de R&D vers d’autres espèces et d’autres complexes.

À mesure que le projet prend de l’ampleur, Sébastien Floquet, qui est aussi Chief Scientific Officer (CSO) d’Oligofeed, prend conscience de la nécessité de déléguer et de s’entourer de multiples compétences pour faire grandir la startup. Il est accompagné de la CEO Aneta Ozieranska, d’une équipe R&D de trois personnes, d’une ingénieure production et d’une équipe marketing de deux personnes. « Je suis très heureux de voir la start-up se développer. Il y a un côté frustrant à ne plus être 100% ‘‘propriétaire’’ du projet, mais je serais aussi tout aussi frustré si j’abandonnais le volet académique de mon travail », tempère Sébastien Floquet. « Il reste encore beaucoup de questions sur le fonctionnement du molybdène qui relèvent de la recherche fondamentale. Ces études en amont sont complémentaires à la R&D effectuée au sein de la startup et restent utiles pour la croissance d’Oligofeed. » Il souligne aussi que son ancrage au CNRS a facilité les échanges avec les apiculteurs, perçu comme un gage de sérieux scientifique. Une demi-délégation CNRS en 2025-2026 contribuera à sécuriser sa double activité académique et industrielle.

Rédacteur : CD

Pour en savoir plus

Site web de la start-up : Oligofeed.com

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Contact

Sébastien Floquet
Enseignant-chercheur à l'Institut Lavoisier de Versailles (CNRS/Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines)
Communication CNRS Chimie