Pourquoi certains lipides sont bons pour le cerveau ?

Résultats scientifiques

De plus en plus de preuves soutiennent une relation entre le métabolisme des acides gras polyinsaturés (AGPI) comme les omégas 3 et la santé mentale. En particulier, une diminution des taux d’omégas 3 a été décrite dans plusieurs troubles psychiatriques. Dans une étude parue dans Molecular Psychiatry, des scientifiques élucident le rôle clé que jouent les AGPI sur un des récepteurs de la dopamine, cible privilégiée de plusieurs traitements pharmacologiques.

Les membranes cellulaires ne sont pas des bicouches homogènes de lipides, mais plutôt composées de différentes espèces lipidiques qui modulent notamment la localisation et l’interaction des protéines au sein de la cellule et donc leurs fonctions. Les études sur le rôle de cette complexité membranaire, et en particulier l’hétérogénéité de lipides entre différents tissus, cellules et compartiments sous-cellulaires, sur la signalisation cellulaire et la physiologie commencent seulement à émerger. En particulier, l'impact de la composition lipidique membranaire a longtemps été négligé dans l’étude des fonctions neuronales, alors que le cerveau est le deuxième organe contenant le plus de lipides après le tissu adipeux. Des découvertes récentes mettent en évidence une association directe entre les niveaux d’AGPI dans le cerveau et la transmission du signal lié à la dopamine, un neurotransmetteur majeur impliqué dans de nombreux symptômes psychiatriques. Cependant, les mécanismes intimes de cette relation sont inconnus.

Dans une étude allant d’expérimentations in vivo à des analyses à l’échelle moléculaire et atomique, des chercheurs français du CNRS* et de l’INRAE*, en collaboration avec des équipes suisse, américaine et espagnole, ont étudié l’impact de la composition membranaire en AGPI sur l’activité du récepteur de la dopamine de type D2 (D2R).  Ils démontrent que l'enrichissement membranaire en acide docosahexaénoique (DHA) – l’omégas 3 le plus abondant dans le cerveau - favorise la liaison de la dopamine au D2R, mais également de ligands exogènes dont certains antipsychotiques. Le DHA agit donc comme un modulateur de l’activité du D2R. Les simulations en dynamique moléculaire confirment que le DHA membranaire a une forte préférence pour le D2R et que sa présence impacte sélectivement la dynamique conformationnelle du récepteur autour de sa deuxième boucle intracellulaire (voir Figure), élément clé dans l’activation des voies de signalisation qui utilisent la β-arrestine. Par ailleurs, les résultats de cette étude montrent que l’enrichissement de la membrane en AGPI ne favorise pas la voie de signalisation classique qui implique la protéine G mais spécifiquement celle qui utilise la β-arrestine. Cette voie de signalisation est suspectée d’être particulièrement importante pour les effets bénéfiques des molécules antipsychotiques de nouvelle génération. Et en effet, le déficit en DHA in vivo chez la souris atténue les effets comportementaux d’une de ces molécules, l'aripiprazole.

Ces résultats, parus dans la revue Molecular Psychiatry, mettent en évidence l'importance de l'insaturation des lipides membranaires pour l'activité du D2R et proposent un mécanisme par lequel les AGPI pourraient améliorer l'efficacité de certains antipsychotiques.

*: laboratoires: institut de Chimie et biologie des membranes et des nano-objets (CBMN, CNRS/Université de Bordeaux) et NutriNeuro (INRAE/Université de Bordeaux/Bordeaux INP)

Impact de la présence des lipides insaturés membranaires sur la conformation du récepteur de la dopamine D2R observé par modélisation moléculaire, notamment au niveau de la deuxième boucle intracellulaire (ICL2). Le D2R est représenté dans une membrane dépourvue (en haut) ou enrichie (en bas) en AGPI de type oméga 3 (DHA, en orange). © R. Guixà-González.

Référence

Impact of membrane lipid polyunsaturation on dopamine D2 receptor ligand binding and signalling
M.-L. Jobin, V. De Smedt-Peyrusse, F. Ducrocq, R. Baccouch, A. Oummadi, M. Hauge Pedersen, B. Medel-Lacruz, M.-F. Angelo, S. Villette, P. Van Delft, L. Fouillen, S. Mongrand, J. Selent, T. Tolentino-Cortez, G. Barreda-Gómez, S. Grégoire, E. Masson, T. Durroux, J. A. Javitch, R. Guixà-González, I. D. Alves & P. Trifilieff Mol Psychiatry 2023.
https://doi.org/10.1038/s41380-022-01928-6

Contact

Isabel Alves
Chercheuse à l'institut de Chimie et biologie des membranes et des nano-objets (CNRS/Université de Bordeaux)
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS
Anne-Valérie Ruzette
Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS