Pollution plastique: la menace cachée des oligomères

Résultats scientifiques

L'ampleur de la pollution plastique dans les océans et son impact sur la physiologie de la faune attirent nos yeux vers les conséquences visibles et à grande échelle de ces déchets pour les organismes vivants. Une menace plus insidieuse encore réside dans les fragments de chaînes ou oligomères issus de leur dégradation. Ces molécules sont difficiles à détecter et leur petite taille leur permet de s’infiltrer et pénétrer un peu partout, pourquoi pas dans nos cellules ! Une équipe de scientifiques de l'ICS (CNRS/ Université de Strasbourg) le montre : même des petites quantités d’oligomères de polystyrène peuvent pénétrer la membrane cellulaire et en perturber des fonctions essentielles. Ces résultats sont à retrouver dans la revue PNAS.

Lorsque les déchets plastiques, apparemment inertes, se retrouvent dans les océans, ils entament un long et lent processus de dégradation qui conduit à la formation d’oligomères, petites chaînes de polymères courtes et très mobiles. Sur certaines plages, on peut en trouver jusqu'à des dizaines de grammes par mètre cube de sable. Il est donc important d'évaluer la menace potentielle que représente cette pollution invisible, un projet entrepris par une équipe de chercheurs de l’Institut Charles Sadron de Strasbourg avec le soutien d'un financement européen. Une question essentielle à laquelle l’équipe s’est intéressée est de savoir si les oligomères de polystyrène (PS) ingérés par les organismes vivants peuvent être incorporés dans la membrane lipidique des cellules et en perturber le fonctionnement.

Sorte de coques de cinq nanomètres d'épaisseur, les membranes lipidiques enveloppent et organisent les cellules de tous les organismes vivants. Elles assurent de nombreuses tâches comme le contrôle des échanges entre les espaces cellulaires internes et externes, ou celui du fonctionnement des protéines.  Formées par l’auto assemblages de molécules amphiphiles contenant une queue lipidique et une tête hydrophile, les membranes lipidiques ont la capacité de passer d'un état fluide à un état solide et inversement par des transitions de phase bien connues des biologistes membranaires. Ces transitions de phase, à l’origine de l’activation des protéines membranaires, sont essentielles au bon fonctionnement des membranes. Pour élucider l’impact potentiel des oligomères de PS, les chercheurs de l’ICS ont utilisé un système modèle bien connu, à base de lipides saturés, insaturés et de cholestérol, qui reproduit au mieux les propriétés des membranes lipidiques. Ils ont pu montrer que les oligomères très hydrophobes, une fois mis en contact avec la membrane, intègrent la partie lipidique et n’en sortent plus. Qui plus est, ils en perturbent fortement l’équilibre et retardent les transitions de phase essentielles au bon fonctionnement de la membrane. Reste à savoir comment, à quelle vitesse et en quelle quantité ces oligomères issus de la dégradation des plastiques parviennent à nos cellules, question sur laquelle la communauté des polymères, les chimistes et les biologistes se penchent déjà. Ces résultats sont à retrouver dans la revue PNAS.

L'incorporation d'oligomères de polystyrène issus de la dégradation des déchets plastiques dans la membrane lipidique en perturbe les transitons de phases et les propriétés © Carlos M Marques

Référence

Accumulation of styrene oligomers alters lipid membrane phase order and miscibility, Mattia I. Morandia, Monika Kluzeka, Jean Wolff, André Schröder, Fabrice Thalmann et Carlos M. Marques, PNAS, 26 janvier 2021

https://doi.org/10.1073/pnas.2016037118

Contact

Carlos Marques
Chercheur au Laboratoire de chimie (CNRS/ENS Lyon)
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC
Anne-Valérie Ruzette
Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS