Plastiques indestructibles ? Deux percées pour transformer le polystyrène et le polyéthylène

Résultats scientifiques

Des chimistes bordelais et marseillais sont parvenus à transformer deux des plastiques les plus utilisés mais aussi les plus difficiles à recycler chimiquement : le polystyrène et le polyéthylène. Grâce à des procédés doux, sans métaux et peu énergivores, ils ouvrent la voie à une nouvelle ère du recyclage et de la revalorisation des déchets plastiques.

Les plastiques fabriqués à partir de pétrole ont les inconvénients de leurs avantages : conçus pour être résistants et récalcitrants à la dégradation, ils restent très difficiles à recycler (moins de 10 % le sont), causant d’importants problèmes de pollution des sols et des océans et menaçant la santé des écosystèmes. Pour le polystyrène (PS), très utilisé dans les emballages alimentaires et l’isolation, moins de 5 % sont recyclés en France. Chaque année, des centaines de milliers de tonnes échouent dans nos poubelles.

Pour changer la donne, des scientifiques du Laboratoire de chimie des polymères organiques (CNRS/Bordeaux INP/Université de Bordeaux) et du laboratoire Biodiversité et biotechnologies fongiques (INRAE/Aix Marseille Université) ont imaginé une solution simple et robuste : utiliser des enzymes issues de champignons pour le dégrader. Leur astuce ? Mettre ce polymère sous la forme de nanoparticules stables dans l’eau à l'aide d'un tensioactif et en présence d’oxygène. Le polystyrène ainsi formulé devient plus accessible aux enzymes qui coupent les longues chaînes du polymère en fragments plus petits, jusqu’à obtenir des molécules à valeur ajoutée, comme l’acide benzoïque et le benzaldéhyde. Ces molécules sont déjà utilisées au quotidien : l’acide benzoïque pour ses propriétés antifongiques et antibactériennes, le benzaldéhyde pour son parfum d’amande. Mais leurs méthodes de production restent très énergivores. Les fabriquer directement à partir de déchets plastiques grâce aux enzymes constituerait donc une avancée majeure pour l’environnement et l’économie circulaire. Le procédé, encore en développement, permet d’envisager un futur fascinant où des pots de yaourt usagés seraient transformés en médicaments ou en arômes.

Dans une seconde étude en collaboration avec l’Institut des sciences moléculaires (CNRS/ Bordeaux INP/Université de Bordeaux), l’équipe s’attaque au polyéthylène (PE), le plastique le plus produit au monde (plus de 150 millions de tonnes annuelles). Il ne s’agit pas cette fois de le casser mais de le transformer chimiquement en un nouveau matériau à forte valeur ajoutée. Les scientifiques utilisent pour cela un oxydant simple et bon marché : le nitrite de tertio-butyle. Activé par la lumière visible, il génère des radicaux, espèces très réactives capables d’arracher un atome d’hydrogène à la chaîne du polyéthylène et le remplacer par des nouvelles fonctions chimiques, oximes (C=N-OH) ou cétone (C=0), sans recourir à des catalyseurs métalliques. Les équipes bordelaises ont montré que cette modification chimique pouvait également être réalisée par voie thermique dans une extrudeuse pour un traitement des déchets de PE à des échelles compatibles avec l’industrie du recyclage. Les fonctions ainsi greffées constituent des « points d’entrée » sur la chaîne de polymère qui permettent ensuite de transformer le matériau, de modifier sa rigidité, son comportement mécanique ou sa polarité pour le rendre plus compatible avec d’autres plastiques ou solvants. L’étude offre ainsi une double perspective : recycler plus efficacement les plastiques à base de PE et accéder à des polymères innovants dotés de propriétés modulables et à plus forte valeur ajoutée. A terme, ces avancées pourraient même permettre de concevoir des plastiques « intelligents », pensés dès leur fabrication pour être transformés, réparés ou recyclés plus proprement.

Ces deux études, parues dans Angewandte Chemie International Edition, illustrent un changement de paradigme dans la chimie des plastiques et leur circularité.

Rédacteur : AVR

Valorisation des déchets plastiques à base de polyéthylène par surcyclage via le greffage de fonctions oxime ou cétone sur la chaine polymère © Yannick Landais et Daniel Taton

Références

Harnessing Colloidal Dispersion for Laccase-Driven Enzymatic Depolymerization of Polystyrene
Manon Pujol, Stella A. Gonsales, Fanny Seksek, Jean-Guy Berrin, Bastien Bissaro & Daniel Taton
ACIE 2025
https://doi.org/10.1002/anie.202513937


Selective, Oxygen-Tunable, and Metal-Free Functionalization of Polyethylene Through Dual-Mode Nitrosation and Carbonylation
Lucile Cluzeau, Frédéric Robert, Dario M. Bassani, Yannick Landais & Daniel Taton
ACIE 2025
https://doi.org/10.1002/ange.202520646

Contact

Daniel Taton
Chercheur au Laboratoire de chimie des polymères organiques (CNRS/Université de Bordeaux/Bordeaux INP)
Yannick Landais
Enseignant chercheur à l’Institut des sciences moléculaires (CNRS/Bordeaux INP/Université de Bordeaux)
Bastian Bissaro
Chercheur au laboratoire Biodiversité et biotechnologie fongiques (INRAE / Aix Marseille Université)
Communication CNRS Chimie