Observer in vivo le travail des enzymes grâce à des sondes moléculaires à base de terres rares

Résultats scientifiques

Des scientifiques du CNRS ont mis au point des complexes à base de terres rares comme sonde unique pour la détection in vivo de l’activité de certains enzymes par imagerie de résonance magnétique et imagerie optique proche-infrarouge. Cette étude, parue dans la revue Angewandte Chemie International Edition, ouvre la voie vers de nouvelles stratégies de diagnostic non invasif.

Les enzymes sont des petites protéines essentielles pour l’organisme car elles catalysent, c’est-à-dire qu’elles rendent possibles, des réactions biochimiques clés du vivant. De nombreuses pathologies sont d’ailleurs associées à un déséquilibre enzymatique, et plus d'un quart des médicaments disponibles aujourd'hui ciblent les enzymes. L’observation directe de l’activité de certaines enzymes serait donc une stratégie non invasive de diagnostic in vivo très attractive pour la médecine et la recherche biomédicale.

La détection in vivo d’une protéine particulière est très difficile à cause de sa faible concentration locale. Pour les enzymes, cette limitation peut être surmontée en exploitant leur activité catalytique. L'imagerie repose alors sur la détection non plus de l’enzyme elle-même, mais de l’espèce chimique dont elle catalyse la production. Ceci permettrait de remonter en temps réel à la quantité d'enzymes actives dans un milieu biologique spécifique. Bien que cette activité puisse être évaluée par des tests in vitro à partir de prélèvements biologiques, la détection in vivo ou in cellulo serait de loin préférable pour mesurer l’activité de l'enzyme dans son environnement.

Dans ce contexte, des scientifiques du CNRS, au Centre de biophysique moléculaire (CBM) d’Orléans et à l'Institut de chimie des substances naturelles (CNRS/Université Paris-Saclay), ont conçu des sondes luminescentes, c’est-à-dire qui émettent de la lumière après avoir été excitées par un stimulus optique extérieur. Elles sont à base de complexes de lanthanides (Ln), une série de métaux qui fait partie des terres rares et dont les ions trivalents Ln3+ sont luminescents. La particularité de ces sondes est que l’activité de certaines enzymes peut en modifier la luminescence dans le proche infra-rouge ainsi que le signal observé à l’IRM. Elles permettent donc de suivre l’activité catalytique d’une enzyme avec une molécule unique au moyen de plusieurs techniques d’imagerie complémentaires, ici l’IRM et l’optique proche-infrarouge. Essentielle pour une détection non-ambiguë d’un phénomène biologique, cette double imagerie avec une seule molécule évite les biais dus à l’utilisation d’agents d’imagerie chimiquement différents pour chaque technique d’imagerie.

Plus spécifiquement, l’équipe a montré qu’il est possible avec leurs sondes à base de lanthanides de suivre l'activité de la β-galactosidase en fonction du temps. La β-galactosidase est une enzyme essentielle qui intervient notamment dans le métabolisme du galactose. De trop faibles concentrations et donc une trop faible activité de cette enzyme est responsable de l’intolérance au lactose. Les scientifiques ont pu suivre l’activité et donc la concentration locale en β-galactosidase par imagerie optique proche-infrarouge et par IRM.

A l’avenir, les scientifiques envisagent de tester la détection d’autres cibles enzymatiques d’intérêt avec cette même sonde moléculaire dont il suffira de modifier l’entité chimique sensible à l’activité de l’enzyme. Un avantage supplémentaire pour ces sondes moléculaires présentées dans la revue Angewandte Chemie International Edition et qui s’avèrent être une réelle plateforme pour l’imagerie directe de nombreuses enzymes in vivo.

Rédacteur : AVR

Référence

Lanthanide-Based Probes for Imaging Detection of Enzyme Activities by NIR Luminescence, T1- and ParaCEST MRI
Rémy Jouclas, Sophie Laine, Svetlana V. Eliseeva, Jérémie Mandel, Frédéric Szeremeta, Pascal Retailleau, Jiefang He, Jean-Francois Gallard, Agnès Pallier, Célia S. Bonnet, Stéphane Petoud, Philippe Durand & Éva Tóth
Angew. Chem. Int. Ed. 2024
https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/anie.202317728

Des sondes uniques à base de complexes de lanthanides permettent de suivre in vivo l’activité d’enzymes par imagerie optique proche-infrarouge et IRM © Eva Jakab Toth

Contact

Eva Jakab Toth
Chercheuse, Centre de biophysique moléculaire d'Orléans (CNRS)
Stéphane Petoud
Chercheur au Centre de biophysique moléculaire d'Orléans (CNRS)
Philippe Durand
Chercheur à l’Institut de chimie des substances naturelles (CNRS/Université Paris-Saclay)
Communication CNRS Chimie