Nouvelle synthèse totale de molécules naturelles complexes

Résultats scientifiques

La synthèse totale de molécules naturelles complexes, réalisée uniquement en partant de molécules simples et disponibles dans le commerce, est un défi en chimie médicinale. Dans un article paru dans la revue Angewandte Chemie International Edition, des chimistes présentent une nouvelle stratégie de synthèse totale de toute une famille d’alcaloïdes complexes à l’activité biologique très prometteuse.

La synthèse totale est la sous-discipline de la synthèse organique qui vise à préparer des molécules organiques naturelles, souvent thérapeutiques, à partir de molécules plus simples disponibles dans le commerce et sans l'aide de processus biologiques. En chimie médicinale, elle permet d’accéder à des grandes quantités de molécules naturelles actives ou leurs analogues, comme l’aspirine et bien d’autres médicaments, sans dépendre des ressources biodisponibles du principe actif. Si le plus ancien exemple remonte au début du 19ème siècle avec la synthèse de l’urée, nombre de chimistes ont depuis franchi l’Everest de la synthèse totale de molécules bien plus complexes. Ce domaine de recherche très actif est une des voies pour développer des nouveaux médicaments plus actifs ou, parfois, avec moins d’effets secondaires.

Dans un article paru dans la revue Angewandte Chemie International Edition, des chimistes de l’Institut de chimie moléculaire et des matériaux d’Orsay (CNRS/Université Paris-Saclay) présentent la synthèse totale d’un sous-groupe de substances naturelles appartenant aux alcaloïdes indolomonoterpéniques. Ces molécules forment une des classes les plus étendues et les plus fascinantes de produits naturels très étudiés en raison de leurs bioactivités prometteuses (cytotoxiques, immunosuppressives, anti-inflammatoires, antibactériennes…) et de leur diversité structurale. On en dénombre en tout plus de 3000 découverts dans plusieurs familles du règne végétal comme les Apocynaceae, Loganiaceae et Rubiaceae. Certains, comme la réserpine (agent antihypertenseur), sont déjà largement utilisés cliniquement et inclus dans la liste modèle des médicaments essentiels de l'OMS. Si les voies de biosynthèse menant à ces molécules sont étudiées depuis plusieurs décennies, leur synthèse totale est également un défi que nombre de chimistes tentent de relever.

L’équipe présente en particulier la synthèse totale de 6 alcaloïdes dits mavacuran (à l’origine isolés pour certains de plantes ou fruits et utilisés pour préparer des flèches empoisonnées au curare en Amazonie) en seulement 9 à 13 étapes, une prouesse par rapport aux synthèses reportées jusqu’ici pour ces alcaloïdes très complexes. Elle a pour cela utilisé comme étape clé un mode de réactivité très rare de composés organolithiés qui sont des nucléophiles très réactifs sur un électrophile dit accepteur de Michael (un ester conjugué avec une double liaison): une addition sur la double liaison carbone-carbone (addition 1,4) a été observée alors qu'une addition sur la liaison carbone-oxygène de l’ester (addition 1,2) était attendue. Pour rationaliser ce mode de réactivité inhabituel, ils ont utilisé la chimie théorique (calculs DFT) qui permet de comprendre les mécanismes de formation des liaisons chimiques. La formation d’un complexe entre plusieurs molécules du composé organolithié et un azote de la molécule contenant l’accepteur de Michael a été mise en évidence. Cette synthèse totale, adaptable à d’autres molécules de la famille des alcaloïdes indolomonoterpéniques, est une étape importante dans la synthèse efficace de futurs médicaments.

Rédacteur: AVR

Synthèse totale d'une famille d’alcaloïdes indolomonoterpéniques via une synthèse totale impliquant une réaction tout à fait inattendue. © Guillaume Vincent

Référence

Collective Total Synthesis of Mavacuran Alkaloids through Intermolecular 1,4-Addition of an Organolithium Reagent
Audrey Mauger, Maxime Jarret, Aurélien Tap, Rémi Perrin, Régis Guillot, Cyrille Kouklovsky, Vincent Gandon & Guillaume Vincent, Angewandte Chemie International Edition 2023

https://doi.org/10.1002/anie.202302461

Contact

Guillaume Vincent
Chercheur à l’Institut de chimie moléculaire et des matériaux d’Orsay (CNRS/Université Paris-Saclay)
Vincent Gandon
Enseignant-chercheur à l’Institut de chimie moléculaire et des matériaux d’Orsay (CNRS/Université Paris-Saclay)
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC
Anne-Valérie Ruzette
Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS