Les imogolites, des nanotubes aux propriétés remarquables

Résultats scientifiques

Le traitement des polluants aquatiques est un enjeu écologique de taille qui nécessite de trouver des astuces pour isoler et faire réagir des molécules organiques toxiques afin de les dégrader et les éliminer. Parmi les technologies possibles, la photocatalyse hétérogène des semi-conducteurs, qui utilise la lumière pour générer des espèces réactives, est particulièrement intéressante et viable sur le plan énergétique. Une équipe mixte entre le CNRS et le CEA a récemment démontré l’efficacité de nanotubes d’imogolite comme photocatalyseurs dont la surface peut être facilement modifiée pour attirer et réagir avec des molécules ciblées. Ces résultats, publiés dans la revue Nanoscale, permettent d’entrevoir des solutions écologiquement viables pour la dépollution de l’eau.

La photocatalyse est une méthode de catalyse qui repose sur l’activation d’un semi-conducteur par la lumière. L’absorption de photons d’énergie suffisante permet en effet d’exciter des électrons vers des états d’énergie supérieurs et de former des paires électron/trou (absence d’électron) dans ces matériaux. Les paires électron/trou génèrent à la surface des matériaux des radicaux libres qui sont susceptibles de réagir avec les molécules environnantes, conférant ainsi une action catalytique au semi-conducteur. Mais ces paires électron/trou peuvent aussi se recombiner entre elles, et, si cette recombinaison est trop rapide, l’activité catalytique disparait. Une équipe mixte du CNRS et du CEA a récemment montré expérimentalement que la forte courbure des nanotubes d’imogolite favorise la séparation des charges formées sous rayonnement, propriété très intéressante pour la photocatalyse.

 

L'imogolite est un aluminosilicate naturellement présent dans les sols volcaniques qu’il est également possible de synthétiser. Elle forme des nanotubes d’un diamètre très régulier de 2-3 nm et tapissés de groupes hydroxyle (OH) en surface. Des simulations numériques suggèrent que la très forte courbure de ces nanotubes induirait un champ électrique dans la paroi des nanotubes à l’origine de la séparation efficace des paires électron/trou. Cette prédiction intéressante vient d’être prouvée expérimentalement par des scientifiques du laboratoire Nanosciences et innovation pour les matériaux, la biomédecine et l'énergie (NIMBE – CEA/CNRS/Université Paris-Saclay), de l’Institut de chimie physique (ICP, CNRS/Université Paris Saclay) et du Laboratoire de chimie physique et microbiologie pour les matériaux et l'environnement (LCPME – CNRS/Université de Lorraine). Des expériences de radiolyse pulsée picoseconde* leur ont en effet permis de mettre en évidence la séparation de charges spontanée induite par la courbure dans ces nanotubes inorganiques, les électrons migrant vers l’extérieur et les trous vers l’intérieur des nanotubes. Ces résultats, publiés dans la revue Nanoscale, sont une étape importante dans le développement de photocatalyseurs économiques. L’imogolite est en effet un composé peu coûteux et bénin pour l’environnement et dont la surface peut être fonctionnalisée pour traiter différents types de polluants tant hydrophiles qu’hydrophobes. Les chercheurs s’attèlent à présent à modifier ces nanotubes, par exemple pour en diminuer l’énergie critique d’activation afin de les rendre efficace sur une large gamme de longueurs d’ondes. Ces recherches font l’objet d’un projet financé par l’ANR (ANR-20-CE09-0029-02 / BENALOR) en collaboration avec l’ITODYS (Université Paris Diderot) et l’Institut Charles Gerhardt de Montpellier.

 

* radiolyse pulsée picoseconde : technique d’irradiation par une impulsion brève produite par un accélérateur de particules qui, couplée à des détections rapides résolues en temps (ici à l’échelle de la picoseconde), permet de suivre le sort des intermédiaires transitoires très réactifs produits par l’irradiation dans le milieu.

Image cryo-TEM (fond) d’imogolite standard (IMO-OH). La séparation des paires électron/trou est favorisée par le champ électrique induit par la courbure au sein de la paroi des nanotubes. Le schéma représente les processus décrits dans l’article paru dans la revue Nanoscale. © Nimbe

Référence

Confined water radiolysis in aluminosilicate nanotubes: the importance of charge separation effects M.-C. Pignié, V. Shcherbakov, T. Charpentier, M. Moskura, C. Carteret, S. Denisov, M. Mostafavi, A. Thill et S. Le Caër, Nanoscale, 13, 3092-3105 (2021).

 

https://doi.org/10.1039/D0NR08948F

 

Contact

Sophie Le Caer Bolis
Chercheuse, laboratoire Nanosciences et innovation pour les matériaux, la biomédecine et l'énergie (CNRS/CEA)
Antoine Thill
Chercheur, laboratoire Nanosciences et innovation pour les matériaux, la biomédecine et l'énergie (CNRS/CEA)
Mehran Mostafavi
Chercheur, Institut de chimie physique (CNRS/Université de Paris Saclay)
Cédric Carteret
Enseignant-chercheur au LCPME
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC
Anne-Valérie Ruzette
Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS