L’Eau de Graphène, une exfoliation inégalée

Résultats scientifiques Matériaux

Matériau le plus mince au monde aux propriétés électriques, thermiques, mécaniques inégalées,  le graphène, couche élémentaire du graphite, est toujours sujet à une veille scientifique et technologique active.  D’autant que des verrous restent à lever, comme obtenir cette couche unique d’atomes de carbone sans que celle-ci ne perde ses propriétés. De même qu’empêcher qu’elle ne s’agrège à nouveau à d’autres couches jumelles. Mais en utilisant de l’eau dégazée, les chercheurs du Centre de recherche Paul Pascal (CNRS/Université de Bordeaux) et du Laboratoire Charles Coulomb (CNRS/Université de Montpellier) sont parvenus à une dispersion de graphène sous forme aqueuse, stable à l’air et facilement manipulable. Cette formulation est une première ! Elle fait l’objet d’un brevet et d’une publication dans la revue Nature Chemistry.

On attend beaucoup du graphène, cette couche élémentaire du graphite, qui conduit le courant électrique sur des distances de plus de mille fois son épaisseur sans résistance, présente une résistance mécanique et une conductivité thermique très élevées. Léger, quasi-transparent, il constitue une barrière infranchissable à l’eau et aux gaz.

Problème : il est très difficile d’isoler le graphène, c’est-à-dire d’isoler chaque couche d’atomes de carbones qui composent le graphite. Cela exige de vaincre les forces dites de van der Waals - sorte de colle moléculaire - qui lient ensemble ces couches. Pour y parvenir, une méthode consiste à plonger le graphite dans de l’acide sulfurique et du permanganate de potassium, mélange très oxydant. Mais le matériau perd alors sa conductivité ! On peut aussi  disperser le graphite dans un mixer avec du savon, à l’image du gras séparé du tissu dans une machine à laver. Mais l’exfoliation est encore loin d’être totale et cette méthode ne permet pas d’arriver à la couche élémentaire.

Les chercheurs du Centre de recherche Paul Pascal et du Laboratoire Charles Coulomb sont partis sur une autre piste. Ils ont tout d’abord montré que le graphite pouvait être soluble dans certains solvants, conduisant à une solution de « graphènure », signifiant la présence de charges électroniques négatives à sa surface, permettant aux différentes couches de se repousser entre elles. Hélas, ces solutions ne pouvaient être manipulées que sous atmosphère inerte, c’est-à-dire sans oxygène ni eau, sous peine de voir le graphène se réagréger en graphite.

Ils sont ensuite partis du constat que bien que l’eau et l’huile soient non miscibles, il était possible d’obtenir une émulsion en utilisant de l’eau dont on avait simplement retiré le gaz naturellement présent.  Ils ont alors injecté leur solution de « graphènure » dans de l’eau dégazée. Ils ont ainsi obtenu une eau de graphène dans laquelle les ions OH-, naturellement présents dans l’eau, s’adsorbent à la surface à la place des molécules de gaz puisqu’elles ont été préalablement ôtées de l’eau. Les feuillets de graphène se retrouvent chargés électriquement par l’adsorption des ions OH- et se repoussent entre eux, comme tous objets de même charge électrique.

Cette fois-ci, la dispersion est aqueuse, totale, stable à l’air et facilement manipulable ! Il s’agit de la première formulation de graphène en couche unique.

 

 

Image retirée.
Les couples de sphères rouges et blanches représentent les ions OH- et les sphères mauves des contre ions K+

 

 

 

 

Référence

G. Bepete, E. Anglaret, L. Ortolani, V. Morandi, K. Huang, A. Pénicaud & C. Drummond

Surfactant Free Single Layer Graphene in Water

Nature Chemistry 28 novembre 2016

Contact

Alain Pénicaud
Chercheur (CRPP UMR531)
Sophie Félix
Chargée de communication
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC