La photosynthèse : une propulsion 100 % bio pour des micro-objets

Résultats scientifiques

Développer des (micro)systèmes capables de se mouvoir et d’être propulsés par de simples stimuli extérieurs comme la lumière est un domaine en plein essor avec de nombreuses applications potentielles allant de la nanomédecine à la dépollution des eaux. Pour se mouvoir, la plupart des systèmes synthétiques ou hybrides actuels nécessitent un combustible artificiel ou semi-naturel. Des chimistes de Bordeaux ont récemment développé une toute autre stratégie qui utilise l’oxygène relargué par des feuilles lors de la photosynthèse pour les propulser de façon contrôlée à la surface air/eau. Ces nouveaux nageurs sont à découvrir dans la revue Angewandte Chemie International Edition.

Au cours de millions d’années d’évolution et d’optimisation, la nature a conçu des systèmes dynamiques hautement sophistiqués et de différentes tailles. Les nageurs naturels sont un bel exemple de cette complexité de l’évolution, qui utilisent des stratégies très polyvalentes pour générer du mouvement. Grandement inspirés des nageurs naturels, des nageurs (semi-)artificiels, sortes d’engins synthétiques ou biohybrides, ont vu le jour comme candidats prometteurs pour effectuer diverses tâches allant de l'assainissement des eaux à la nanomédecine. Ces nageurs peuvent être alimentés et contrôlés de façon externe, par exemple par la lumière, mais également par une force magnétique, électrique ou acoustique. Ils peuvent aussi être propulsés par d'autres mécanismes, basés sur l'utilisation de carburants (bio)chimiques, mais avec un certain risque que le carburant ou les produits de réaction soient toxiques. Plus récemment, des micronageurs hybrides ont été proposés comme intermédiaires intéressants entre nageurs naturels et artificiels. Ils sont souvent composés de parties purement synthétiques couplées à des entités biologiques comme des bactéries ou des spermatozoïdes.

Dans une étude récemment publiée dans Angewandte Chemie International Edition, des chimistes de l’Institut des sciences moléculaires (CNRS/Institut polytechnique de Bordeaux/Université de Bordeaux) rapportent une toute autre stratégie de propulsion innovante basée sur le détournement des bulles de dioxygène O2 produites par des feuilles au cours du processus de photosynthèse naturelle. En modifiant par microchirurgie la structure des canaux d’évolution des gaz sur la feuille, les scientifiques ont pu contrôler spatialement le flux d’O2, habituellement relargué de façon diffuse au cours de la photosynthèse. En contact avec de l’eau, une feuille ainsi modifiée devient un macro- ou micronageur naturel. Contrairement à la majorité des systèmes rapportés jusqu’ici, aucun combustible chimique classique, comme le peroxyde d'hydrogène ou d'autres composés tels que le sucre pour certains nageurs enzymatiques, n’est nécessaire pour actionner la feuille. Celle-ci se déplace uniquement sous l’effet de la lumière, en présence de dioxyde de carbone et d’eau. Cette classe unique de nageurs naturels pourrait bien à l'avenir servir de plate-forme pour développer des systèmes dynamiques originaux à différentes échelles. Ces travaux ont été obtenus dans le cadre d’une étude financée par le European Research Council (ERC) dans le programme de recherche et innovation Horizon 2020 de l’Union européenne (grant agreement n° 74125, ERC Advanced grant ELECTRA).

Rédacteur: AVR

En modifiant une feuille par microchirurgie, il est possible de concentrer le flux d’O2 produit au cours de la photosynthèse. En contact avec de l’eau, une feuille ainsi modifiée devient un nageur naturel qui se déplace uniquement sous l’effet de la lumière et en présence de dioxyde de carbone. © Ambrose Ashwin Melvin

Référence

Spatially Controlled CO2 Conversion Kinetics in Natural Leaves for Motion Generation Ambrose A. Melvin, Bertrand Goudeau, Wojciech Nogala et Alexander Kuhn, Angewandte Chemie International Edition Juin 2022.

https://doi.org/10.1002/anie.202205298

Contact

Alexander Kuhn
Chercheur à l'Institut des sciences moléculaires (CNRS/Université de Bordeaux/Bordeau INP)
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC
Anne-Valérie Ruzette
Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS