Hommage à David A. Evans : témoignages de Nicolas Blanchard, Joëlle Prunet et Jérôme Lacour

Hommages

David Evans, professeur émérite au « Department of Chemistry and Chemical Biology » de l’université d’Harvard, un des chercheurs en chimie organique les plus influents et créatifs du 20ième siècle, vient de s’éteindre à 81 ans.

Par Nicolas Blanchard, chercheur au Laboratoire innovation moléculaire et applications (LIMA).

De ses études débutées à l’Oberlin College (Ohio) de 1959 à 1963, David Evans garde une passion pour l’interface de la chimie organique et de la chimie physique, de l’analyse conformationnelle, des mécanismes réactionnels et des intermédiaires réactifs, notamment grâce à l’enseignement du Professeur Norman C. Craig. En 1963, il rejoint l’Université du Michigan pour ses études doctorales avec le professeur Robert Ireland. Deux ans plus tard, le groupe déménage pour Caltech, un haut lieu de la physique et de la chimie physique organique. Cette période permet à David Evans d’approfondir ses connaissances en en chimie théorique ou en photochimie en suivant les cours du professeur Jack Roberts et les séminaires de laboratoire du professeur Georges Hammond. En 1967, avant de soutenir sa thèse, David Evans obtient un poste de Professeur Assistant à UCLA ou il restera jusqu’en 1974 avant de rejoindre à nouveau Caltech. A 33 ans, son ambition de « contrôler la stéréochimie absolue de réactions de créations de liaisons carbone-carbone » irrigue tous ses travaux de recherche. En juillet 1983, David Evans déménage à Harvard. Il y restera jusqu’à sa retraite en 2008, après avoir été nommé Professeur « Abbott et James Lawrence » de 1990 à 2008 et Chairman du département de 1995 à 1998.

Les travaux qu’il développe à Harvard dans les domaines de la synthèse asymétrique (alkylations, aldolisations, réductions, transpositions, cycloadditions…), ainsi qu’en synthèse totale de produits naturels (vancomycine, bryostatine…) sont des références que tous les chimistes de synthèse connaissent. Ses articles, limpides et très pédagogiques, basés sur une connaissance unique de la littérature scientifique et des études mécanistiques complètes, continuent d’inspirer les chercheurs de tous les laboratoires, académiques comme industriels. Ses travaux de recherche ont été récompensés par de nombreux prix, dont l’“ACS Award for Creative Work in Synthetic Organic Chemistry” (1982), le “Pfizer Research Award for Synthetic Organic Chemistry” (1992), le prix “Tetrahedron” (1998), le prix “Ryoji Noyori ” (2006), l’“Arthur C. Cope Award” (2000), ou encore l’ “ACS Award for Creativity in Molecular Design and Synthesis » (2010).

L’influence de David Evans sur l’éducation de générations de chimistes est également considérable : son enseignement est reconnu comme exemplaire et ses notes de cours, toujours très prisées, sont disponibles en libre accès. Son laboratoire a formé des enseignants et des chercheurs de tout premier plan qui continuent de façonner le domaine de la synthèse organique à son meilleur niveau. Plus de 70 de ses doctorants et post-doctorants mènent une carrière académique, principalement aux Etats-Unis, mais également en Europe. Avec sa femme Sally et Stewart Rubenstein (un doctorant de E. J. Corey), David Evans a également été à l’origine du logiciel de dessin de structures ChemDraw dont la première version est commercialisée en 1986. Ce logiciel représente une véritable révolution qui a permis de s’affranchir des outils de dessin manuels dont l’utilisation était laborieuse et très chronophage. Aujourd’hui, ChemDraw, qui constitue toujours la référence, est intégré à de nombreuses bases de données.

L’enthousiasme de David Evans, sa passion pour la chimie et pour la formation de jeunes chercheurs constituent un leg unique : « I have never enjoyed my chemistry more. This is a good time to be a synthetic organic chemist” (1999).

 

Par Joëlle Prunet, Senior Lecturer, University of Glasgow

Partie pour faire une année de stage à Harvard chez le Professeur David Evans, je ne connaissais de lui que sa chimie, qui était impressionnante. Très vite, Dave m’a proposé de rester pour faire ma thèse avec lui, et j’ai découvert l’homme derrière le chimiste. En plus d’être un scientifique exceptionnel, Dave avait l’âme d’un mentor. Il a toujours eu plus d’étudiants que de post-docs dans son groupe, car il aimait voir les étudiants progresser, et d’ailleurs tous les ans la plupart des organiciens de la promotion de thésards voulait travailler avec lui.

Tous les mardis, nous avions une réunion dans l’après-midi où deux personnes présentaient leur recherche, puis Dave invitait tout le groupe à dîner. Après le dîner, nous avions un séminaire biblio, pendant lequel nous pouvions discuter des heures autour d’une bière (ou plusieurs !) et de chips, et il nous encourageait à aller au tableau pour nous exprimer ("Go the board"). Ces séminaires, qu’il a tous mis en ligne ainsi que les cours qu’il enseignait, ont été utilisés par les chimistes du monde entier. Qui ne connaît pas la fameuse "Evans pKa table" ?
 

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Cette volonté de partager les connaissances était accompagnée d’une grande générosité. Quand il a appris que le CNRS ne me remboursait pas le vol pour rentrer pour mon audition, il m’a payée pour le mois qui a suivi mon retour en France pour compenser.

Dave a formé de grands chimistes tout au long de sa carrière, et j’ai eu le plaisir de côtoyer Erick Carreira, André Charrette, Jon Ellman, Amir Hoveyda, Scott Miller, Greg Fu, Keith Woerpel, Steve Clark, Margaret Faul, Thorsten Bach, Oliver Reiser, Jérôme Lacour et bien d’autres. Dave, tu manqueras à tous les "Evans group members".

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© Droits réservés

Par Jérôme Lacour, professeur à l'Université de Genève.

Au cours de ma formation, j’ai eu l’immense chance de côtoyer des superviseurs et mentors aussi divers et talentueux que Jean-François Normant, Alexandre Alexakis, Philip Magnus et David Evans. Ils ont tous laissé une empreinte forte quant à la façon avec laquelle je conçois la recherche académique. J’avoue que celle de Dave est probablement la plus indélébile et pas seulement parce qu’il a été le dernier en date de tous les formateurs.

Après le chaos créateur et intuitif de Philip Magnus, l’approche hyper-moderne et rationnelle de Dave, toujours en phase avec les travaux les plus récents de la littérature, et l’organisation optimale de son laboratoire ont été des chocs scientifiques et culturels qui ont profondément marqué le développement de ma carrière académique. Dave avait des connaissances en chimie tout simplement astronomiques, que ce soit en synthèse mais aussi et surtout en chimie organique physique, qui lui permettaient de bâtir des projets originaux reposant sur des analyses mécanistiques originales, avec une rigueur toujours irréprochable. L’homme était tout aussi impressionnant que le chercheur : on retiendra une qualité d’écoute et de persuasion forçant le respect, une attention au détail et à la présentation des résultats sans aucune mesure (ne pas oublier que ChemDraw a été développé dans ses laboratoires), une rédaction de très grande qualité, tout autant pour ses cours et publications qui restent des références que pour ses demandes de financement. En deux mots : « ein Mensch » qui restera pour toutes et tous les membres du groupe un mentor hors pair et dont le départ laisse un vide immense dans la communauté organique tout entière.

En guise de conclusion :

"The research accomplished by Professor David Evans and his teams through the years, as well as the significant number of leading scientists trained by him have left, and will continue to leave, a lasting and indelible mark on the field of chemical synthesis."
Amir Hoveyda, professeur à l'Institut de science et d’ingénierie supramoléculaires.

 

Contact

Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS
Anne-Valérie Ruzette
Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC