François Jérôme, plus fidèle que jamais à la chimie durable

Entretiens Chimie verte Environnement

À l’heure de la multiplication des défis environnementaux et sociétaux, dont ceux liés à l’utilisation du carbone fossile et de ses dérivés, François Jérôme souligne l’aide que peut apporter la recherche en chimie. Depuis l’Institut de chimie des milieux et matériaux de Poitiers (CNRS/Université de Poitiers), il développe avec ses collègues des alternatives aux produits chimiques dérivés de pétrole, tout en rapprochant industriels et chercheurs issus du public.

L’adage veut qu’en France, on n’ait pas de pétrole, mais qu’on ait des idées. Et des idées, François Jérôme n’en manque pas. Ce directeur de recherche à l’IC2MP1 (CNRS/Université de Poitiers) trouve des alternatives à la chimie des ressources fossiles, en privilégiant particulièrement les produits issus de la biomasse tels que des déchets issus de l’industrie du bois ou de l’agriculture. Sa démarche s’inscrit dans l’idée d’une chimie durable, un terme que François Jérôme préfère en effet à celui de chimie verte, pourtant plus courant.

« La chimie verte répond à douze principes de bon sens, détaille le chercheur. Ils touchent essentiellement à la réaction elle-même : la catalyse, l’utilisation de produits moins toxiques, etc. La chimie durable, elle, s’intéresse à la planète. »

La chimie durable prend ainsi en compte la production et l’approvisionnement des matières premières, pour un développement sociétal et environnemental des régions concernées. La transformation de ces matières premières doit également rester compétitive et impacter le moins possible l’environnement. Elle est également attentive à la fin de vie des molécules, qu’elles soient recyclées ou dispersées dans la nature. La chimie durable considère donc le cycle complet de vie et de mort des produits.

Cette quête s’illustre par exemple quand, avec des chercheurs de son laboratoire et de l’entreprise Solvay, François Jérôme a obtenu une diamine aromatique à partir de biomasse. En partant du furfural, un composé chimique peu cher et produit à partir de déchets de biomasse, ils ont conçu ce composé clé dans la chimie des polymères avec une méthode qui ne rejette que de l’eau comme co-produit.

La recherche d’alternatives aux ressources fossiles demande plus qu’une simple découverte de concepts, ceux-ci doivent être viables. « Nous nous efforçons par exemple d’étudier la conversion de solutions concentrées de biomasse, insiste François Jérôme. Beaucoup de travaux préfèrent les milieux très dilués, plus faciles à contrôler en termes de sélectivité. Le problème, c’est qu’on obtient alors une productivité finale très faible, qui n’est pas en phase avec les spécifications industrielles. »

Car malgré l’intérêt croissant des grandes entreprises, l’utilisation de la biomasse doit en effet rester compétitive face à des ressources fossiles relativement bon marché. Cet écueil ouvre cependant la voie à une autre approche.

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©François Jérôme

« Si on se contente d’élaborer des produits chimiques biosourcés, mais identiques à ceux tirés du pétrole, cela ne fonctionne que si cette alternative est moins chère ou imposée par une législation », déplore François Jérôme. Les nouvelles molécules doivent donc proposer des performances techniques nouvelles ou supérieures à l’existant. Le chercheur mentionne par exemple l’acide hyaluronique ou ses analogues, extrêmement prisé en cosmétique. Ils peuvent s’obtenir à partir de sucres d’origine végétale, mais pas à partir de dérivés de pétrole. Un produit biosourcé n’est cependant pas automatiquement durable, le cycle de vie complet du produit doit être évalué.

L’équipe de François Jérôme travaille également sur des technologies d’activation alternatives, afin de repenser manière d’activer une molécule ou une réaction chimique. Des phénomènes physiques comme les plasmas, les ultrasons ou encore les micro-ondes peuvent ainsi enclencher la dépolymérisation sélective de la cellulose, en se passant de catalyseurs et de solvants.

Toujours soucieux de l’environnement et de la formation des chercheurs de demain, François Jérôme a lancé en 2016 la fédération de recherche public/privé Increase avec le CNRS et le soutien de la région Nouvelle Aquitaine. Elle mobilise huit laboratoires français, une centaine de chercheurs, douze postdocs et huit doctorants qui s’apprêtent d’ailleurs à soutenir leurs travaux. Les industriels définissent les molécules cibles et le cahier des charges, sur lequel les chercheurs académiques mettent à profit leur expertise scientifique afin d’accélérer la mise sur le marché de produits éco-conçus

La vitalité d’Increase se mesure également à la pérennité et au succès de son congrès, qui se tient tous les deux ans à La Rochelle. L’ISGC 2019, le symposium international de la chimie verte, accueillera ainsi environ 800 participants du 13 au 17 mai prochains.

« La moitié des intervenants viennent du monde académique, l’autre du privé, deux mondes que l’on souhaite justement rapprocher, souligne François Jérôme. Le niveau scientifique est très élevé et ISGC doit ainsi devenir un catalyseur pour faciliter le montage de collaborations publiques/privées et imaginer les grandes innovations (durables) de la chimie de demain. »

Fidèle à une approche globale, François Jérôme considère toutes les étapes de la chimie avec un soin égal : des matières premières à l’industrialisation, tout en passant par le laboratoire.

1 Institut de chimie des milieux et matériaux de Poitiers.

 

Ce portrait a été réalisé par Martin Koppe.

Contact

Sophie Félix
Chargée de communication
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC