Filmer l’autoassemblage de macromolécules au ralenti !

Résultats scientifiques

Dans un article publié dans ACS Macro Letters, une équipe de physico-chimistes décrit une nouvelle approche qui utilise les neutrons et la lumière pour suivre in situ l’autoassemblage de polymères amphiphiles dans des conditions proches de l’équilibre. Ces résultats ouvrent de nombreuses possibilités pour observer et mieux comprendre l’organisation de macromolécules biologiques ou synthétiques complexes en milieu aqueux.

Micelles, vésicules, polymersomes, membranes lipidiques…autant d’objets auto-assemblés formés par des macromolécules amphiphiles. Avec une partie hydrophile et l’autre hydrophobe, ces molécules sont largement utilisées, des peintures aux formulations agroalimentaires et cosmétiques en passant par la chimie thérapeutique. Elles permettent de disperser une phase huileuse dans une phase aqueuse et de stabiliser des nano-objets et structures de toutes sortes de géométries dans différents milieux. Leur autoassemblage spontané est guidé par des interactions de faible intensité entre les parties hydrophobes, qui se rassemblent pour minimiser leur contact avec l’eau, tandis que les parties hydrophiles se repoussent mutuellement.

Les mécanismes d'autoassemblage des macromolécules amphiphiles ont été largement étudiés et sont, en théorie, prévisibles s’ils sont contrôlés par la thermodynamique. En pratique, cependant, la mobilité et la dynamique de réorganisation des grandes molécules sont très lentes. Les structures obtenues ne sont souvent pas les plus stables thermodynamiquement mais celles qui se forment le plus rapidement. Ces structures, hors équilibre, dépendent beaucoup des conditions expérimentales dans lesquelles elles se forment. Dès lors, une question se pose : comment ralentir suffisamment un tel processus pour pouvoir observer les structures réellement les plus stables et contrôler leur formation ?

Pour répondre à ces questions, des physicochimistes spécialistes de la matière molle de 4 laboratoires du CNRS* ont mis au point un protocole expérimental original en collaboration avec des scientifiques de l’Institut Laue Langevin (ILL). Ils ont utilisé un dispositif de dialyse développé à l’ILL qui permet une diffusion lente de l’eau dans un mélange avec un solvant miscible. L’augmentation très progressive de la proportion en eau active lentement l’attraction entre les parties hydrophobes qui déclenche l’autoassemblage des macromolécules en solution. L’originalité du dispositif réside dans la possibilité d’observer in situ les mécanismes d’autoassemblage en combinant la diffusion de lumière et la diffusion des neutrons aux petits angles, toutes deux adaptées à l’étude des nanostructures allant de 1 nm à 100 nm. Les chercheurs ont ainsi pu suivre l’autoassemblage de chaînes de copolymères diblocs amphiphiles de polyéthylène glycol et de silicone (PEG-PDMS) tout au long du processus, et établir leur diagramme de phase dans des conditions de quasi-équilibre thermodynamique. La cryo-microscopie électronique et l’analyse de la tension de surface des structures formées ont complété l’étude.

Présentée dans ACS Macro Letters, cette méthode est applicable à toutes sortes de macromolécules synthétiques ou biologiques et colloïdes**, ouvrant des perspectives inédites pour la communauté de physico-chimistes désireux de comprendre les mécanismes d’autoassemblage de ces systèmes.

*Laboratoire de chimie des polymères organiques (LCPO, CNRS/Bordeaux INP/Université de Bordeaux), Centre de recherche Paul pascal (CNRS/Université de Bordeaux), Institut Charles Sadron (CNRS/INSA de Strasbourg/Université de Strasbourg), Laboratoire Léon Brillouin (LLB, CNRS/CEA)

** : La technique de dialyse implémentée sur le spectromètre D22 de diffusion des neutrons aux petits angles de l’Institut Laue-Langevin permet non seulement la diffusion lente de solvants mais aussi de toute autre entité moléculaire capable de déclencher l'autoassemblage, tels des acides ou des bases, des ions, des donneurs/accepteurs de liaison hydrogène ou des ligands biologiques.

L'autoassemblage de copolymères à blocs amphiphiles dans des conditions proches de l'équilibre est filmé in situ et en continu à l'aide d'une cellule de dialyse compatible avec l’analyse en diffusion de la lumière et en diffusion des neutrons aux petits angles © Martin Fauquignon et Christophe Schatz

Référence

In Situ Monitoring of Block Copolymer Self-Assembly via Solvent Exchange through Controlled Dialysis with Light and Neutron Scattering Detection
Martin Fauquignon, Lionel Porcar, Annie Brûlet, Jean-François Le Meins, Olivier Sandre, Jean-Paul Chapel, Marc Schmutz & Christophe Schatz
ACS Macro Letters 2023
https://hal.science/hal-03841722
https://doi.org/10.1021/acsmacrolett.3c00286

Contact

Christophe Schatz
Enseignant chercheur au Laboratoire de chimie des polymères organiques (CNRS/Bordeaux INP/Université Bordeaux)
Lionel Porcar
Cherheur à l'Institut Laue Langevin
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC
Anne-Valérie Ruzette
Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS