Étude de cas aux Philippines : l’alimentation, principal vecteur d’exposition aux néonicotinoïdes

Résultats scientifiques

De plus en plus décriés pour leurs effets sur l’environnement et la santé, les insecticides néonicotinoïdes restent largement utilisés à travers le monde. Des chercheurs du Centre de biophysique moléculaire (CBM, CNRS), de l’Université de Neuchâtel (Suisse), de l’Université De La Salle de Manille (Philippines), de l’Université de médecine de Tokyo (Japon) et de l’Université de Sydney (Australie) ont réalisé une étude de terrain. Cette recherche montre, dans trois régions agricoles des Philippines, un lien direct entre la concentration en néonicotinoïdes des sols et leur présence dans les cheveux de la population. La contamination des cheveux est aussi observée pour les populations qui n’habitent pas à proximité des parcelles étudiées, mais qui consomment les produits qui en sont issus. Publiés dans la revue Science of The Total Environment, ces travaux apportent une nouvelle preuve expérimentale que la contamination par les néonicotinoïdes passe essentiellement par la consommation d’aliments traités.

Si les preuves scientifiques des effets néfastes des néonicotinoïdes sur la biodiversité et la santé s’accumulent, ces insecticides forment toujours la classe la plus utilisée au monde. Ils ont effectivement l’avantage de ne pas avoir à être pulvérisés régulièrement, car le plus souvent ils enrobent les semences prêtes à être semées, puis diffusent par la sève lorsque la plante grandit. Ces molécules foudroient les parasites ravageurs en bloquant leur système nerveux[1]. Les néonicotinoïdes sont si puissants que quelques dizaines de grammes suffisent à traiter tout un hectare de culture. Malheureusement, ils tuent indifféremment tous les insectes, y compris les abeilles qui ne font que butiner, et sont également délétères pour les autres espèces[2], dont les mammifères. 80 % de ces insecticides finissent dans le sol et les cours d’eau, où ils peuvent rester actifs pendant plusieurs années. Il est aussi avéré que les néonicotinoïdes sont nocifs pour les fœtus et les bébés[3]. Or 97 % de l’alimentation mondiale en contient, dont 40 % à des taux supérieurs aux seuils de toxicité pour les humains[4]. Réunis au sein de la Task Force on Systemic Pesticides, qui regroupe de scientifiques sans conflit d'intérêt, des chercheurs du Centre de biophysique moléculaire (CBM, CNRS), de l’Université de Neuchâtel (Suisse), de l’Université De La Salle (Philippines), de l’Université de médecine pour femmes de Tokyo (Japon) et de l’Université de Sydney (Australie) ont montré un lien entre la contamination des sols par les néonicotinoïdes et leur présence dans les cheveux des populations, y compris de celles qui ne vivent pas à proximité des champs. Cela indique que l’exposition des populations passe surtout par les aliments.

Les chercheurs ont prélevé des échantillons du sol, de l’eau et des cheveux dans trois régions des Philippines. Ces éléments ont été analysés par chromatographie liquide haute performance couplée à la spectrométrie de masse. Pour 81 % des personnes étudiées, des résidus de néonicotinoïdes ont été découverts dans des échantillons de cheveux lesquels permettent de tracer des contaminants à moyen terme. Les chiffres montrent une corrélation directe entre la contamination des sols et celle des cheveux humains, même pour une population éloignée des champs étudiés. L’alimentation est ainsi le principal vecteur d’exposition aux néonicotinoïdes. Les chercheurs soulignent qu’il existe pourtant des alternatives à ces insecticides toxiques[5].

 

 

[1] Giorio C. et al. An update of the Worldwide Integrated Assessment (WIA) on systemic insecticides. Part 1: new molecules, metabolism, fate, and transport. Environ Sci Pollut Res (2017). https://doi.org/10.1007/s11356-017-0394-3

[2] Pisa L. et al. An update of the Worldwide Integrated Assessment (WIA) on systemic insecticides. Part 2: impacts on organisms and ecosystems. Environ Sci Pollut Res (2017). https://doi.org/10.1007/s11356-017-0341-3

[3] Ichikawa G. et al. LC-ESI/MS/MS analysis of neonicotinoids in urine of very low birth weight infants at birth. PLOS, July 1 2019. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0219208

[4] Wyckhuys K.A.G. et al. Resolving the twin human and environmental health hazards of a plant-based diet. Environment International, Volume 144, 2020. https://doi.org/10.1016/j.envint.2020.106081

[5] Veres A. et al. An update of the Worldwide Integrated Assessment (WIA) on systemic pesticides. Part 4: Alternatives in major cropping systems. Environ Sci Pollut Res 27, 29867–29899 (2020). https://doi.org/10.1007/s11356-020-09279-x

En haut, des semences traitées aux néonicotinoïdes. En bas, les dégâts causés aux ruches par ces insecticides© Jean-Marc Bonmatin

Référence

Residues of neonicotinoids in soil, water and people’s hair: a case study from three agricultural regions of the Philippines. Jean-Marc Bonmatin, Edward A.D. Mitchell, Gaëtan Glauser, Elizabeth Lumawig-Heitzman, Florencia Claveria, Maarten Bijleveld van Lexmond, Kumiko Taira, Francisco Sánchez-Bayo Science of The Total Environment, Volume 757, 25 February 2021.

 

https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2020.143822

Contact

Jean-Marc Bonmatin
Chercheur-UPR4301 Centre de biophysique moléculaire (CBM)
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC
Anne-Valérie Ruzette
Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS