Et si la chiralité du vivant venait de l’espace ?

Résultats scientifiques

Le monde du vivant utilise des briques élémentaires, les acides aminés, molécules chirales dont la nature n’a pourtant sélectionné qu’une des deux formes. Pourquoi une telle sélection ? Des chimistes français, danois et allemands ont mis au point des expériences innovantes pour étudier l’interaction d’acides aminés en phase gazeuse avec la lumière polarisée circulairement dans des conditions proches de celles que l’on rencontre dans le milieu interstellaire, là où tout semble avoir commencé. Un pas de plus vers la compréhension des origines de la vie à découvrir dans la revue Nature Communications.

Les molécules chirales sont comme nos mains : elles peuvent adopter deux formes, appelées énantiomères gauche et droit, images l’une de l’autre dans un miroir mais non superposables. Les acides aminés, briques de base du vivant qui composent les protéines, et les riboses, ces sucres à la base de l’ADN et l’ARN, sont chirales. Mais, pour une raison que la biochimie moderne n’explique toujours pas, on ne rencontre les acides aminés que sous leur forme gauche et les riboses sous leur forme droite. Pourtant, si l’on reproduit la synthèse chimique de ces deux types de molécules en laboratoire, on obtient ce qui est spontanément attendu : un mélange racémique, c’est-à-dire en proportions égales, des formes gauche et droite. Comment la nature procède-t-elle à cette sélection énantiomérique ? Un casse-tête qui a fait couler beaucoup d’encre et reste une énigme pour la biochimie moderne. Une des hypothèses avancées est que cette sélection aurait déjà lieu dans le vide interstellaire, là où les planètes se forment, sous l’action de rayonnements polarisés circulairement présents dans les nuages interstellaires.

Dans le cadre d’une collaboration entre la France, l’Allemagne et le Danemark, des chimistes de l’Institut de chimie de Nice (CNRS/Université Côte d’Azur) ont mis au point un protocole expérimental innovant qui permet d’étudier l’interaction entre la lumière polarisée circulairement (LPC) et plusieurs acides aminés en phase gazeuse. Les propriétés chiroptiques des acides aminés sont particulièrement difficiles à étudier en phase gazeuse en raison de la faible pression de vapeur de ces molécules. Cette prouesse a été rendue possible au moyen d’une chambre à vide, spécifiquement mise au point pour cette expérience et directement installée sur le synchrotron ASTRID2 de l’université d’Aarhus au Danemark (Figure 1a). Les auteurs sont parvenus à mesurer les transitions actives de dichroïsme circulaire et d’anisotropie dans la gamme ultraviolette pour plusieurs acides aminés (Figure 1b, c). Ils ont ainsi pu mettre en évidence les interactions entre ces briques élémentaires du vivant et la lumière polarisée circulairement qui conduisent à la rupture de symétrie chirale. Les spectres obtenus montrent comment des photons chiraux transfèrent leur asymétrie aux molécules en phase gazeuse, renforçant ainsi l’hypothèse d’une origine extra-terrestre des briques élémentaires du vivant. Ces résultats, à retrouver dans Nature Communications, sont une nouvelle étape clé dans la compréhension de l’origine de l’asymétrie des acides aminés.

Rédacteur: AVR

a) Chambre à vide - à température et pression contrôlées. b) Spectres d'anisotropie (g) des énantiomères de l'alanine (lignes épaisses) révélant le %ee inductible par la lumière polarisée circulairement (lignes pointillées). c) Spectres d'anisotropie (g) de sept L-acides aminés. La couleur verte/violette et la luminosité indiquent la valeur négative/positive et l'amplitude des valeurs g. © Cornelia Meinert et Uwe Meierhenrich

Référence

Amino acid gas phase circular dichroism and implications for the origin of biomolecular asymmetry.

Cornelia Meinert, Adrien D. Garcia, Jérémie Topin, Nykola C. Jones, Mira Diekmann, Robert Berger, Laurent Nahon, Søren V. Hoffmann et Uwe J. Meierhenrich, Nature Communications 26 janvier 2022.

https://doi.org/10.1038/s41467-022-28184-0

 

Contact

Cornelia Meinert
Chercheuse à l'Institut de chimie de Nice (CNRS/Université Côte d'Azur)
Uwe Meierhenrich
Enseignant chercheur à l’Institut de chimie de Nice (CNRS/Université Côte d’Azur)
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC
Anne-Valérie Ruzette
Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS