Énergie et environnement : séparer efficacement l’eau lourde de l’eau légère

Résultats scientifiques

Des membranes en oxyde de graphène pourraient être utilisées pour séparer l’eau lourde de l’eau légère. C’est le résultat obtenu par des scientifiques de l’Institut de Recherche de Chimie Paris (CNRS/Chimie ParisTech-PSL) et de l’Université Shinshu au Japon. Ces travaux éclairent la dynamique à la surface des feuillets d’oxyde de graphène, un matériau dont les propriétés uniques promettent de nombreuses applications dans le domaine de la filtration et de l’énergie. 

L’eau lourde est composée d’un atome d’oxygène et de deux atomes de deutérium, isotope stable de l’hydrogène. Molécule précieuse car difficile à produire, elle est utilisée pour la spectroscopie RMN, pour ralentir les neutrons au cœur de certaines centrales nucléaires ou pour des expériences scientifiques telles que la détection de neutrinos cosmiques.

L’oxyde de graphène se présente sous forme de feuillets ultrafins composés de carbone et d’oxygène. Des irrégularités chimiques parsemées sur la surface du feuillet le rendent à la fois hydrophile et hydrophobe (on dit qu’il est amphiphile). De ce fait, ces feuillets constituent des membranes semi-perméables qui pourraient permettre, entre autres, de dessaler l’eau de mer ou de produire de l’énergie à partir de différences de salinité entre deux compartiments, un concept connu sous le nom d’énergie bleue.

Les travaux de l’équipe franco-japonaise visent à mieux comprendre le passage de l’eau au travers ces feuillets.  Pour cela, les scientifiques ont créé un modèle moléculaire décrivant les interactions entre les molécules d’eau et la surface de deux membranes en oxyde de graphène. Ce modèle, le plus large jamais réalisé pour l’oxyde de graphène, a montré que les feuillets ne sont pas rigides. En présence d’eau, ils gonflent à la manière d’une éponge. Certaines molécules d’eau restent liées aux feuillets tandis que d’autres circulent librement entre les deux lames d’oxyde de graphène.

Les scientifiques ont alors voulu savoir si la dynamique à la surface des membranes différait pour l’eau légère et l’eau lourde. Pour cela, ils ont réalisé des simulations moléculaires, et des observations par résonance magnétique nucléaire et par diffraction des rayons X. Ils ont montré que l’interaction entre l’oxyde de graphène et l’eau lourde est plus faible qu’avec l’eau légère. Conséquence, l’eau lourde passe plus facilement au travers des feuillets. Cette différence de vitesse de passage permettrait, en multipliant le nombre de membranes, de séparer efficacement ces deux espèces.

Ces résultats sont publiés dans la revue Nature Communications le 27 avril 2024. A présent, l’équipe franco-japonaise voudrait appréhender ces phénomènes dynamiques sur une plus large échelle, et travaille déjà à un modèle portant sur un plus grand nombre d’atomes.

Référence

Futamura, R., Iiyama, T., Ueda, T. et al.

Staggered structural dynamic-mediated selective adsorption of H2O/D2O on flexible graphene oxide nanosheets

Nature Communications 15, 3585 (2024)

https://doi.org/10.1038/s41467-024-47838-9

Deux feuillets d’oxyde de graphène entourés d'eau © Marie-Laure Bocquet / CNRS

Contact

François-Xavier Coudert
Chercheur à l'Institut de recherche de chimie Paris (CNRS/Chimie Paristech - PSL/Ministère de la culture)
Communication CNRS Chimie