DIM Pamir : étudier le patrimoine pour éclairer le présent et se projeter dans le futur

Entretiens

Le réseau francilien PAMIR – Patrimoines matériels – innovation, expérimentation et résilience –, porté par le CNRS, vient d’être labellisé Domaine de recherche et d’innovation majeur (DIM) par la Région Île-de-France pour une durée de cinq ans. Il a pour objectif de connecter musées, entreprises, écosystème francilien de la création et de l’artisanat et 96 laboratoires de recherche franciliens autour de questionnements de recherche fondamentale et de recherche appliquée aux collections et problématiques patrimoniales, pour faire émerger des formes inédites de valorisation sociale, environnementale et économique des patrimoines matériels.

Loïc Bertrand, chercheur au laboratoire Photophysique et photochimie supramoléculaires et macromoléculaires (CNRS, ENS Paris-Saclay), un des coordinateurs du projet PAMIR, évoque avec nous les ambitions d’un tel projet.

Pourquoi un chimiste comme coordinateur d’un projet centré sur des questionnements qui relèvent des sciences humaines et sociales ?

On a coutume de dire que la chimie est présente partout. C’est également vrai dans le domaine du patrimoine où on la retrouve dans l’identification des matériaux et leur réactivité, en partie sur des temps longs pour tout ce qui concerne leur dégradation, mais aussi via la partie analytique et le développement d’instruments pour la compréhension des propriétés intrinsèques de la matière dont la formulation est souvent complexe. Enfin, la chimie est centrale dans un domaine que je souhaiterais voir se développer, la paléo-inspiration, qui consiste à comprendre et reproduire chimiquement, dans des systèmes modernes, les propriétés physico-chimiques d’intérêt identifiées dans des matériaux anciens, comme la durabilité, la robustesse ou la stabilité des couleurs.

D’autres raisons, plus personnelles, ont motivé mon implication dans ce projet. Ma formation tout d’abord, qui m’a conduit à étudier la dégradation de composés organiques dont on recherche souvent les traces dans les vestiges matériels du passé. Mon intérêt pour la complexité de systèmes dont la réactivité est dominée par des défauts ou des hétérogénéités, mais également mon parcours scientifique. En effet, travailler au cœur d’un grand instrument comme le synchrotron SOLEIL m’a donné l’occasion de côtoyer les différentes communautés étudiant des matériaux anciens, et de développer des approches conduisant à un dialogue interdisciplinaire exigeant.

 

Justement, l’interdisciplinarité, parfois difficile à mettre en place, est au cœur de ce DIM. Qu’en attendez-vous dans ce contexte patrimonial ?

C’est l’interdisciplinarité qui fait la force de ce DIM car c’est elle qui va favoriser la prise en compte du « terrain » et la créativité. On entend encore trop souvent « La science est au service de… », ou « Ce que la chimie apporte au patrimoine… ». Il est temps de rebattre les cartes : la science des matériaux va aussi se nourrir du patrimoine et des outils des sciences humaines ! Chaque discipline impliquée dans ce projet alimente sa réflexion des travaux et modes de pensée des partenaires. Et chaque partenaire qui apporte une expertise spécifique, doit apprendre à valoriser l’apport de l’autre. En favorisant l’émergence de projets collectifs d’intérêt régional, ou de passerelles vers le design, les nouveaux matériaux et la restauration du patrimoine, le DIM vise à produire ces cristallisations.

Il faut également lutter contre la hiérarchie des savoirs et l’auto-censure que l’on observe fréquemment chez nos collègues du patrimoine qui pensent, à tort, que leurs observations souvent empiriques ne peuvent pas intéresser les chimistes ou les physiciens qui emploient des techniques analytiques sophistiquées.

Nous fondons beaucoup d'espoir sur les jeunes scientifiques formés à ces terrains complexes et multidisciplinaires : observation, prise en compte de l’incomplétude de la connaissance que nous avons de ces systèmes anciens et ouverture mutuelle sont des clés vers la créativité et l’innovation.

 

Concrètement maintenant, qu’est-ce que va permettre cette labellisation ?

C’est tout d’abord une source de financement importante puisqu’environ 20 millions d’euros sur 5 ans vont permettre de mettre en place des collaborations, en réponse à des appels à projets, pour des contrats de thèses, des contrats postdoctoraux, des stages, mais aussi de financer des instruments partagés et des rencontres scientifiques.

Mais l’ambition du projet ne se résume pas au volet financier ! Ce qui fait notre originalité, c’est peut-être le désir qui nous anime de rassembler une très vaste communauté qui va bien au-delà des équipes dont l’activité de recherche est centrée principalement sur le patrimoine (et identifiée comme telle). Nous avons convié à nous rejoindre toutes les équipes qui développent une expertise indispensable pour progresser sur les questionnements qui nous animent, même si ce n’est qu’un aspect ponctuel de leur recherche. Un des rôles de ce DIM sera de donner de la visibilité à toutes ces contributions à l’étude des patrimoines, dans une vision très écosystémique.

En guise de conclusion et pour rester sur le concept de visibilité, force est de constater qu’il existe un décalage entre la médiatisation des objets du patrimoine qui réduit souvent la découverte à un objet figé dans le temps, en oubliant l’apport des sciences qui permet aux archéologues et historiens de l’art d’aller bien au-delà dans sa compréhension. Ces objets ont été les témoins d’un environnement en évolution et conduisent à repenser les relations nature–culture ou matériel–immatériel, que seules une approche scientifique pluridisciplinaire permettra de poser sur de nouvelles bases. Rassembler, dans cette structure DIM, scientifiques, acteurs socio-économiques et responsables des collections patrimoniales doit ainsi permettre de travailler ces paradigmes et leurs implications, à travers l’espace de débat public que constituent le musée, le site archéologique ou les nouveaux espaces numériques

Rédacteur : CCdM.

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© Pauline Lemaigre-Gaffier / DYPAC UVSQ

Contact

Loïc Bertrand
Chercheur au laboratoire Photophysique et photochimie supramoléculaires et macromoléculaires (CNRS, ENS Paris-Saclay)
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS
Anne-Valérie Ruzette
Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC