Des vibrations à l'origine de l'arrondi des arêtes de nanocubes d'argent

Résultats scientifiques

En analysant la réponse optique de nanocubes d'argent, des scientifiques montrent que la courbure de leurs arêtes et de leurs sommets a pour origine un mode de vibration spécifique, inactif dans le cas de particules sphériques. Un résultat qui devrait permettre d'optimiser la synthèse de ces objets dont les propriétés dépendent fortement de leur morphologie.

Les nanoparticules de métaux nobles font l'objet de nombreuses recherches depuis ces trois à quatre dernières décennies. La motivation de ces investigations se fonde principalement dans l'émergence de propriétés spécifiques lorsque la taille des particules de matière se limite à quelques nanomètres, ou milliardièmes de mètre. À cette échelle, les nanoparticules métalliques sont plus petites que la longueur d'onde du rayonnement électromagnétique dans le visible. Ceci modifie notablement l'interaction lumière-matière.

L'exposition d'une nanoparticule à une onde électromagnétique incidente peut alors provoquer, à une certaine longueur d'onde, l'oscillation collective cohérente de ses électrons libres à la fréquence du champ présent dans la particule placée sous irradiation. Il en résulte une oscillation dipolaire stationnaire de la densité de charges, orientée selon le champ électrique de l'onde excitatrice. Ce phénomène, connu sous le nom de "résonance de plasmon de surface localisée" et désigné par l'acronyme "LSPR" (de son appellation en anglais Localized Surface Plasmon Resonance), confère aux nanoparticules métalliques la capacité de fortement absorber la lumière et d'exalter l'amplitude du champ électrique à leur surface.

La longueur d'onde à laquelle émerge ce phénomène de résonance dépend de divers paramètres inhérents aux caractéristiques structurales et morphologiques des nanoparticules elles-mêmes, ainsi qu'à leur environnement et leurs éventuelles interactions avec des nanoparticules voisines. De nombreuses applications exploitent les propriétés remarquables des nanoparticules métalliques liées à ce phénomène LSPR, comme par exemple dans le domaine de la médecine, de l'optique et des capteurs, ou de la spectroscopie Raman exaltée de surface (SERS).

L'intérêt toujours renouvelé pour les recherches portant sur ces nanoparticules métalliques vient des progrès qui sont continument réalisés en matière de synthèse et de caractérisation de telles nanoparticules. Les synthèses par voie chimique permettent de contrôler de plus en plus finement la taille et la morphologie de ces nanoparticules, tout en augmentant leur variété. Alors que les recherches concernaient essentiellement des nanoparticules de forme sphérique jusqu'à l'aube des années 2000, une large gamme de formes est désormais accessible (bâtonnets, bypiramides pentagonales, nanocages, cubes, multipodes, etc...). Ces progrès significatifs couplés à des techniques d'analyse plus performantes conduisent à de nouvelles perspectives de recherche et à la mise en évidence expérimentale de propriétés jusqu'alors restées dans l'ombre de la connaissance qui, en retour, permettront de caractériser les nano-objets de manière plus précise.

L'article en référence, très récemment publié dans la revue ACS Nano, est le fruit d'une collaboration de deux unités mixtes de recherche, à savoir le laboratoire "de la molécule aux nano-objets: réactivité, interactions et spectroscopies" (MONARIS, UMR 8233 CNRS - Sorbonne Université) et le laboratoire Interdisciplinaire Carnot de Bourgogne (ICB, UMR 6303 CNRS - Université Bourgogne Franche-Comté).

Cet article porte sur la réponse optique et les vibrations acoustiques de nanocubes d'argent qui représentent une catégorie de nano-objets encore peu documentée dans la littérature scientifique. L’étude dont il découle s’inscrit parfaitement dans la logique de mettre à profit les propriétés des nanoparticules pour les caractériser. Les résultats qu'il décrit mettent plus précisément en exergue l'impact d'une variation de forme aussi subtile que celle de l'arrondi des arêtes et des sommets des nanocubes sur leur résonance LSPR et leurs modes de vibration.

L'analyse par spectroscopie de la résonance LSPR des nanocubes et la simulation numérique de leurs spectres d'absorption confirment que la bande de résonance LSPR subit un décalage significatif vers le rouge lorsque les arêtes deviennent de plus en plus saillantes. Le résultat majeur de cette étude réside dans l'évolution des spectres vibrationnels mesurés par spectroscopie Raman à très basse fréquence, en condition d'excitation résonnante avec le plasmon de surface des nanocubes. L'évolution des spectres observée est cohérente avec l'observation d'un mode de vibration (de symétrie T2g) qui demeure inactif dans le cas des nanoparticules sphériques. L'existence de ce mode est prévue par des calculs théoriques prenant en compte à la fois la taille, la forme et la cristallinité des nanocubes mais sa mise en évidence expérimentale dans des nanocubes constitués d'un seul métal est une première.

Notre capacité à synthétiser des nanocubes d'argent de très faible dispersion de taille et de forme, l'exaltation du signal de diffusion Raman par couplage du plasmon avec les vibrations des nanocubes et enfin l'utilisation d'un spectromètre à haute résolution dans le domaine des très basses fréquences ont rendu possible l'observation de ce mode. Des investigations sur le couplage plasmon-vibrations, telles que celles déjà entreprises pour des nanoparticules à symétrie sphérique, sont à étendre aux objets de forme cubique afin de mieux comprendre et prévoir l'activation de certains modes de vibration en fonction des conditions d'excitation des nano-objets (hors résonance ou en résonance avec le plasmon de surface). Le développement de potentielles applications des nanocubes faisant l’objet de cette étude exige d’acquérir au préalable une bonne connaissance et une compréhension approfondie des interactions lumière-matière au sein de ces objets de l'infiniment petit.

Rédacteur : CCdM

 

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Plus les arêtes et les sommets des nanocubes d’argent sont prononcés, plus l’absorption de lumière liée à l’excitation de plasmons de surface localisés se décale vers le rouge. Suite à cette évolution de forme, un mode de vibration non-actif dans le cas des nanoparticules sphériques devient observable avec les nanocubes. © Hervé Portalès

 

Référence

Vernier, C., Saviot, L., Fan, Y., Courty, A., & Portalès, H.
Sensitivity of Localized Surface Plasmon Resonance and Acoustic Vibrations to Edge Rounding in Silver Nanocubes
ACS Nano 2023

https://doi.org/10.1021/acsnano.3c06990

Contact

Hervé Portales
Enseignant-chercheur au laboratoire MONARIS (CNRS/Sorbonne Université)
Communication CNRS Chimie