Des polymères hybrides pour stocker et manipuler les données numériques

Résultats scientifiques

Stocker de l’information binaire sur des chaînes de polymères synthétiques ou naturels est considéré comme la solution miracle qui permettra d’archiver la quantité de données numériques en forte croissance sur des supports compacts, stables et peu gourmands en énergie. Par contre, manipuler ces données, les effacer, en réécrire de nouvelles, reste un défi non résolu. Dans un article paru dans Journal of the American Chemical Society, des chimistes du CNRS montrent que l'association de brins d’ADN à des polymères synthétiques permet de lever ce verrou et d’avancer vers un véritable disque dur moléculaire.

Les nouveaux dispositifs de stockage de données sur support moléculaire, à la fois l’ADN et les polymères artificiels, font l’objet de vastes programmes de recherche en France et à l’international. Le développement de ces technologies de rupture devrait en effet permettre de stocker une quantité massive de données en consommant nettement moins de place et d’électricité que les centres de stockage actuels. La raison ? L’ADN, par exemple, a une capacité de stockage telle qu’environ 140g suffiraient pour stocker les dizaines de Zettabits de données réparties dans les serveurs du monde entier en 2020. Le tout, sans refroidissement ni apport d’énergie et de façon bien plus stable dans le temps que les systèmes de stockage actuels, qui doivent être réécrits tous les 10 ans environ.

Bien plus simples à synthétiser, manipuler et mettre en œuvre, les polymères synthétiques sont une alternative à l’ADN apparue plus récemment et qui devrait également permette de stocker une quantité massive de données. Par contre, à ce jour, ces deux solutions sont limitées au stockage de données dites « froides », c’est-à-dire auxquelles l’accès est peu fréquent. Manipuler ces données, les effacer et réécrire de nouvelles séquences, comme on peut le faire sur un disque dur, semble un défi encore très lointain pour les dispositifs de stockage moléculaires.

Pour tenter de lever ce verrou, des chimistes du CNRS ont exploré une stratégie innovante qui consiste à préparer des copolymères hybrides composés d’une partie synthétique, sur laquelle sont stockées les séquences de données numériques, liée chimiquement à un brin d’ADN. Différentes chaînes codant des séquences de données distinctes peuvent être liées à des brin d’ADN complémentaires. Ces derniers vont spontanément s’auto-assembler pour former un double brin qui relie les deux séquences d’information entre elles.

La particularité des copolymères préparés par l’équipe est qu’il est possible, et assez simple, de remplacer un des deux brins d’ADN lié à une séquence d’information par un autre brin lié à un polymère codant une séquence de données différentes, ou aucune donnée. Cette méthode de remplacement ou retrait de brin d’ADN fonctionne un peu sur le principe d’une fermeture éclair dont on pourrait, à l’envi, remplacer un des deux côtés par un autre. En pratique, cela revient donc à effacer (pas de remplacement mais juste retrait d’un brin) ou réécrire (remplacement du brin) des portions d’informations numériques stockées sur ces polymères hybrides. Ces résultats, publiés dans la revue Journal of the American Chemical Society, ouvrent la voie vers les dispositifs de stockage moléculaires en mode « lecture/écriture ».

Rédacteur: AVR

En liant des brins d'ADN à des chaînes de polymères synthétiques sur lesquelles sont stockées des séquences de données numériques, on obtient des poymères numériques hybrides dont les données peuvent être manipulées par technique d'échange de brin d'ADN. © Jean-François Lutz

Référence

Exchanging and Releasing Information in Synthetic Digital Polymers Using a Strand-Displacement Strategy
Maria Nerantzaki, Claire Husser, Michael Ryckelynck & Jean-François Lutz
Journal of the American Chemical Society 2024
https://doi.org/10.1021/jacs.3c13953

Contact

Jean-François Lutz
Chercheur à l’Institut de science et d'ingénierie supramoléculaires (CNRS/Université de Strasbourg)
Communication CNRS Chimie