Des plastiques qui s’autodétruisent sur commande
Une équipe de chimistes français a mis au point un nouveau procédé permettant de créer des plastiques presque intégralement recyclables. Ce procédé repose sur l’utilisation d’une molécule azotée qui amorce la polymérisation et laisse au bout des chaînes de polymères une extrémité ré-activable par la suite. Par simple chauffe, cette extrémité peut déclencher la dépolymérisation des chaînes pour retourner aux monomères. Ce nouveau pas vers le recyclage chimique propre et contrôlé de polymères est paru dans Angewandte Chemie International Edition.
Le recyclage des plastiques, et notamment du PMMA (plus connu sous le nom de "verre acrylique") et du polystyrène, reste l’un des angles morts de la transition écologique. Les procédés actuels de recyclage, qu’ils soient mécaniques ou thermiques, conduisent souvent à des matériaux de moindre qualité (downcycling), ou nécessitent des catalyseurs coûteux et des procédés trop énergivores pour être viables. Résultat : moins de 5 % du PMMA produit chaque année est effectivement recyclé. Dans leurs rêves, les chimistes imaginent des polymères qui, comme par magie, pourraient se déconstruire (dépolymériser) en douceur en fin de vie. Et si ce rêve devenait réalité ? C’est ce que tentent de montrer des chimistes lyonnais en explorant les étonnantes propriétés des tétrazènes, molécules azotées bien particulières contenant quatre atomes d’azote consécutifs.
Ces chimistes du Laboratoire hydrazines et composés énergétiques polyazotés (CNRS/CNES/ARIANEGROUP/Université Claude Bernard) et du laboratoire Catalyse, polymérisation, procédés et matériaux (CNRS/CPE Lyon/Université Claude Bernard) ont découvert qu’un tétrazène spécifique, le tétraméthyltétrazène ou TMTZ, pouvait amorcer la formation de polymères par polymérisation radicalaire tout en restant intact à l’extrémité des chaînes. Contrairement aux amorceurs de polymérisation classiques qui disparaissent dans la réaction, le TMTZ laisse une « signature chimique » stable et fonctionnelle en bout de chaîne. Mieux encore, en chauffant le polymère au-delà d’une certaine température, cette extrémité se transforme et agit comme une mèche : elle déclenche la dépolymérisation, permettant à la chaîne polymère de se désassembler proprement, comme une fermeture éclair chimique.
Cette capacité a été testée avec succès sur plusieurs plastiques, dont le PMMA et le polystyrène. Les rendements en monomères récupérés atteignent jusqu’à 62 % pour le polystyrène, un exploit pour ce polymère, et 88 % pour le PMMA. Le procédé se passe d’additifs ou catalyseurs métalliques, ce qui est un avantage considérable pour un recyclage plus propre, plus économique et potentiellement adaptable à l’industrie. Les molécules ainsi régénérées pourraient même être réutilisés pour produire de nouveaux plastiques, dans une logique de circularité.
Cette avancée ouvre des perspectives enthousiasmantes qui vont des objets en plastique conçus pour être recyclés chimiquement à la demande aux matériaux intelligents capables de s’autodétruire dans des conditions bien définies. Les scientifiques envisagent bien évidemment d’adapter cette chimie à d'autres familles de plastiques. Cette nouvelle avancée vers des matériaux polymères éco-conçus est parue dans la revue Angewandte Chemie International Edition.
Rédacteur: AVR
Référence
Radical Chemistry of Tetrazenes: Access to Polymers with Pristine Tetrazenyl Chain Ends and Depolymerization Applications
Laetitia Bourgeois, Ahmad Hammoud, Lucas Chalouni, Anne Baudouin, Emmanuel Chefdeville, Lhoussain Khrouz, Anne Renault, Jennifer Lesage de la Haye, Jean Raynaud, Chaza Darwich & Emmanuel Lacôte
Angewandte Chemie International Edition2025
https://doi.org/10.1002/anie.202425279
