CNRS Chimie accueille Kenichiro Itami en tant qu'Ambassadeur CNRS des sciences chimiques
Le 13 octobre 2025, Kenichiro Itami, Chief Scientist et Director au RIKEN (Japon) débutera une série de conférences dans plusieurs laboratoires français du CNRS en tant qu'Ambassadeur CNRS des sciences chimiques en France1 . Kenichiro Itami est un chimiste organicien spécialisé dans la synthèse de nanocarbones moléculaires, la catalyse, les matériaux organiques fonctionnels et la biologie chimique. Ses recherches portent plus particulièrement sur le développement de méthodes de synthèse innovantes pour la conception de nanographènes, de nanorings de carbone (cycloparaphényles), de nanobelts de carbone, et plus généralement de nouveaux matériaux bioactifs à base de carbone.
- 1En 2019, l Institut de chimie du CNRS a initié le programme « Ambassadeurs des sciences chimiques en France ». Son ambition ? Permettre à de prestigieux chercheurs étrangers de visiter une série de laboratoires français actifs dans leur domaine. Ces visites comprennent non seulement des conférences de haut niveau par l ambassadeur, mais sont également une occasion d établir des contacts préliminaires et de favoriser des collaborations internationales pour les laboratoires français visités.
Les matériaux carbonés, sous toutes leurs formes, suscitent de plus en plus de travaux dans communauté des chimistes organiciens. Comment expliquez-vous cet engouement et pouvez-vous nous en dire plus sur les travaux de votre équipe dans ce domaine ?
Les nanocarbones - matériaux carbonés de la taille d'un nanomètre - conduisent l'électricité, absorbent ou émettent de la lumière et présentent d'intrigantes propriétés magnétiques. Parmi leurs formes les plus emblématiques, on trouve les fullerènes sphériques, les nanotubes de carbone (NTC) cylindriques et les graphènes en forme de feuille. Au-delà de ces formes, les simulations théoriques prédisent depuis longtemps une multitude d'architectures exotiques tridimensionnelles de nanocarbones qui n'ont pas encore été synthétisées. Pourtant, les approches synthétiques actuelles produisent presque invariablement des mélanges de composés aux structures et propriétés diverses. Mais il est ensuite difficile de les séparer pour obtenir des formes pures. Ce « problème de mélange » persistant est l'un des principaux défis de la science et de la technologie des nanocarbones. Il faut donc préparer des nanocarbones sous une seule forme afin de pouvoir établir un lien formel entre la structure et la fonction du matériau. Un défi pour le développement de matériaux fonctionnels dans les domaines de la nanotechnologie, de l'électronique, de l'optique et des applications biomédicales.
En développant de nouvelles stratégies et méthodes de synthèse, nous avons réussi à créer une famille de nanocarbones structurellement uniformes (>2 000 molécules), y compris des formes de carbone entièrement nouvelles et géométriquement étonnantes. Notre principal succès : le développement de méthodes de synthèse en une seule étape, rapides et programmables, appelée APEX pour « π-extension aromatique ». Nous avons grâce à elles obtenu sélectivement des nanorings de carbone (cycloparaphényles) et des nanobelts. Mais aussi des allotropes de carbone originaux comme les nanographes déformés, les nanocages de carbone, les caténanes tout-benzène, les nœuds de trèfle et l'infinitène.
De manière remarquable, nombre de ces nanocarbones moléculaires présentent des propriétés prometteuses pour être utilisés pour des dispositifs électroniques organiques, en bio-imagerie et en thérapie photodynamique. À ce jour, 23 de nos composés sont déjà commercialisés et de nombreux autres sont utilisés dans d’autres applications industrielles. Nous sommes ravis que ces nouvelles voies de synthèse aient donné naissance à une nouvelle discipline, la science des nanocarbones moléculaires.
Quels sont les progrès à venir dans ce domaine au cours des prochaines années ?
Les prochaines années promettent une convergence passionnante entre l'innovation en synthèse chimique et la diversité structurelle qui dicte les propriétés ou les fonctions associées. On peut espérer ainsi construire les bases d’une nouvelle science des nanocarbones moléculaires, pierres angulaires des nanotechnologies mais aussi sources fertiles d'entités moléculaires bioactives sans précédent. Nous pensons que l’utilisation des nanocarbones comme molécules bioactives ouvrira des possibilités inédites à l'interface entre la chimie, la biologie et la médecine. Leurs architectures bien définies et leurs propriétés accordables pourront être exploitées pour sonder, réguler et même reprogrammer les systèmes biologiques, ce que d’autres petites molécules ou biomacromolécules « conventionnelles » ne peuvent pas faire. Ces nouvelles formes de carbone ne sont pas simplement des matériaux originaux; ce sont des molécules présentant des fonctions qui restent à explorer.
C’est la chimie de synthèse elle-même qui est à l’origine de ce nouveau monde. C’est une des disciplines les plus créatives qui offre des perspectives infinies pour générer des matériaux à haute valeur ajoutée. Combinée à l’évolution rapide des technologies d'assemblage d’édifices moléculaires, la chimie de synthèse apporte un éventail infini de cibles moléculaires potentielles et donc de propriétés et de fonctions physiques et biologiques. La découverte des fullerènes en est un exemple emblématique. Elle a en effet révélé des propriétés et des fonctions inattendues liées à cette forme particulière de carbone. On peut espérer que chaque nouvelle architecture de carbone présentera un comportement particulier encore difficile à prédire au moment de sa découverte.
L'histoire nous rappelle que dans le monde moléculaire, l'élégance esthétique est souvent liée à une propriété remarquable. Les molécules ont en effet le pouvoir de transformer le monde en apportant des propriétés physiques et biologiques sans précédent qui conduisent à des avancées scientifiques et technologiques non linéaires. La découverte du benzène a révolutionné la chimie organique. Les premiers polymères conducteurs ont profondément bouleversé l'électronique, comme l’ont fait les fullerènes pour les nanosciences. Des ruptures de la même ampleur pourraient bien naître de cette nouvelle chimie des nanocarbones.
Pour finir, je dirais que faire intervenir des molécules dans des domaines scientifiques sans rapport au premier abord peut initier de nouveaux champs de recherche, en résonance avec la célèbre notion de « connexion des points » de Steve Jobs. Tout comme la fusion de la physique et de l'informatique a donné naissance à la science de l'information quantique, la pollinisation croisée de la chimie des nanocarbones avec les sciences de la vie, la science des matériaux et même la science des données pourrait catalyser des avancées que l’on n’imagine pas encore. Dans cette vision, les nanocarbones moléculaires ne sont pas seulement de nouvelles structures en chimie mais représentent de véritables semences pour de nouveaux modes de pensée dans toutes les disciplines.
En tant qu'ambassadeur des sciences chimiques en France, avez-vous des attentes particulières pour cette tournée ?
En tant qu'ambassadeur des sciences chimiques en France, je considère cette tournée comme une occasion précieuse non seulement de présenter nos récentes avancées dans le domaine de la science moléculaire du nanocarbone, mais aussi d'engager un dialogue ouvert avec la communauté scientifique française. Je me réjouis à l'idée d'échanger des idées avec des collègues de différentes disciplines, d'apprendre de leurs points de vue et d'identifier des synergies susceptibles pouvant déboucher sur de nouvelles pistes de collaboration.
J'espère en particulier entrer en contact avec de jeunes scientifiques et étudiants, partager avec eux l'enthousiasme suscité par leurs découvertes et développer une créativité audacieuse dans leurs propres parcours de recherche. La chimie est, par essence, une aventure profondément internationale et collaborative, et je pense que de ce type d'interactions peuvent naître de nouvelles idées qui transcendent les frontières.
Plus largement, cette tournée permettra de renforcer les liens entre la science française et japonaise en favorisant un esprit d'inspiration mutuelle. Tout comme les molécules acquièrent de nouvelles propriétés lorsqu'elles sont reliées de manière inattendue, de nouvelles valeurs peuvent émerger lorsque les cultures scientifiques se rencontrent. Je suis donc vraiment enthousiaste à l'idée de « relier les points » avec mes collègues français et dessiner avec eux les futures frontières de la chimie.
Rédacteur : CCdM
Calendrier des conférences de Kenichiro Itami
- 13/10/2025 – Paris – Institut parisien de chimie moléculaire (contact : Mathieu Sollogoub)
- 14/10/2025 – Lyon – Laboratoire de chimie (contact : Christophe Bucher)
- 16/10/2025 – Marseille – Centre interdisciplinaire de nanoscience de Marseille (contact : Olivier Siri)
- 17/10/2025 – Strasbourg – Institut de chimie de Strasbourg (contact : Jean Weiss)
- 20/10/2025 – Rennes – Institut des sciences chimiques de Rennes (contact : Cassandre Quinton, Pierre-Antoine Bouit et Yann Trolez)
- 22/10/2025 – Bordeaux – Centre de recherche Paul Pascal (contact : Fabien Durola)
- 23/10/2025 – Orsay – Institut de chimie moléculaire et des matériaux d'Orsay (contact : Vincent Huc)