Chimie supramoléculaire : des chimistes jouent à Tetris

Résultats scientifiques

Contrôler l’agencement spatial de fragments moléculaires lors de leur assemblage en architectures complexes est un défi aux nombreuses retombées en chimie thérapeutique et science des matériaux. Dans une étude parue dans Chemical Science, des chimistes jouent avec des briques moléculaires simples comme au jeu Tetris pour former des assemblages supramoléculaires complexes avec un niveau d'arrangement spatial relatif des atomes au sein des molécules remarquable.

Des médicaments aux matériaux, l’arrangement spatial précis des différents atomes qui constituent une molécule ou un assemblage de molécules est un paramètre crucial qui en gouverne les propriétés. On parle des caractéristiques stéréochimiques des molécules, dont le contrôle lors de la synthèse est essentiel. L’exemple le plus parlant sont les biopolymères comme l’ADN et les protéines, dont les propriétés de repliement et les fonctions sont largement dictés par les caractéristiques stéréochimiques des unités (nucléotides et acides aminés) qui le constituent. Ce que la nature semble faire si facilement s’avère cependant un réel casse-tête en chimie de synthèse. Des stratagèmes catalytiques et des étapes de purification complexes doivent être mis en place pour contrôler la stéréochimie des (macro)molécules de synthèse.

Dans ce contexte, des chimistes de l’Institut de chimie et biochimie moléculaires et supramoléculaires (CNRS/Université Claude Bernard) et de l’Institut des sciences moléculaires de Marseille (CNRS/ Aix Marseille Université) ont récemment mis au point un stratagème biomimétique pour construire des édifices supramoléculaires complexes à partir de briques de base de géométrie simple. Ils montrent qu’un niveau de contrôle stéréochimique exceptionnel peut être atteint en programmant comment ces briques moléculaires s’assemblent entre elles. Un peu comme un jeu de Tetris, mais où les liaisons et interactions non directionnelles entre les briques agissent comme un algorithme d’empilement. Chaque nouvelle brique s’intègre dans l’édifice supramoléculaire en croissance selon un agencement guidé par son voisin déjà présent. Concrètement, les briques de base utilisées sont des molécules cycliques capables de former entre elles des ponts disulfures. Cette interaction et la minimisation de l'encombrement spatial entre les briques consécutives gouvernent leur empilement.

Cette étude, parue dans la revue Chemical Science, pourra par exemple aider les biologistes moléculaires à explorer la propagation de l'information stéréochimique au travers des ponts disulfures qui structurent les architectures protéiques. Plus généralement en chimie supramoléculaire, elle ouvre la voie à la production d'architectures polyfonctionnelles à la structure parfaitement maîtrisée à partir de briques de base simples.

Tétris de 8 briques de base simples pour former via des ponts disulfures (en jaune) un édifice supramoléculaire complexe portant 16 éléments stéréochimiques. © Laurent Vial

Référence

Self-assembly of Achiral Building Blocks into Chiral Cyclophanes using Non-directional Interactions
Y. Zhang, B. Ourri, P.-T. Skowron, E. Jeamet, T. Chetot, C. Duchamp, A. M. Belenguer, N. Vanthuyne, O. Cala, E. Dumont, P. K. Mandal, I. Huc, F. Perret, L. Vial, J. Leclaire
Chem. Sci. 2023.

https://doi.org/10.1039/D3SC01235B

 

Contact

Laurent Vial
Chercheur à l'Institut de chimie et biochimie moléculaires et supramoléculaires (CNRS/Université Claude Bernard)
Julien Leclaire
Institut de chimie et biochimie moléculaires et supramoléculaires
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC
Anne-Valérie Ruzette
Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS