Charge transfer dissociation (CTD) : un nouveau mode de fragmentation pour la caractérisation structurale de polymères naturels et synthétiques

Résultats scientifiques

Le développement de nouvelles méthodes pour l’analyse de biomolécules par spectrométrie de masse est en constante évolution, afin d’obtenir des informations structurales toujours plus riches. Des scientifiques du LAMBE, en collaboration avec l’Université West Virginia (USA), ont implanté une nouvelle technique d’activation des ions (CTD) sur un spectromètre de masse de type piège ionique, conduisant à un instrument aux caractéristiques uniques pour l’analyse structurale par spectrométrie de masse au sein des laboratoires de l’INC.

L'avènement à la fin des années 1980 de l'ionisation par électronébulisation ou electrospray (ESI) a révolutionné la spectrométrie de masse en élargissant son champ d'étude à l'analyse des biomolécules. L'utilisation combinée de cette méthode d'ionisation avec des instruments dits tandem opérant plusieurs étapes successives d'analyse en masse (MS/MS ou MSn) et le couplage à des techniques chromatographiques ou électrophorétiques, fait désormais de la spectrométrie de masse une méthode de caractérisation incontournable pour le séquençage des biopolymères (peptides, protéines, oligosaccharides, oligonucléotides) et des polymères synthétiques. Ces analyses, qui mettent le plus souvent en jeu des ions à nombre pair d'électrons de type [M+nH]n+ et [M-nH]n-, impliquent une étape d’activation des ions afin d’induire leur fragmentation. La méthode d’activation la plus répandue repose sur la collision des ions en phase gazeuse avec un gaz cible (collision induced dissociation, CID). Cependant, cette méthode présente différentes limitations, telles qu’une fragmentation incomplète ou encore la perte des groupements fonctionnels chimiques labiles, entraînant une perte d’information structurale.

Pour accéder à une caractérisation plus complète, notamment pour les biomolécules présentant une isomérie élevée, de nouveaux outils expérimentaux sont continuellement développés. Dans ce contexte une nouvelle méthode de fragmentation appelée Charge Transfer Dissociation (CTD) a été récemment introduite par le professeur Glen P. Jackson (West Virginia University). Cette méthode exploite le gaz hélium (He) pour produire des collisions entre des cations He+ fortement accélérés (keV) et un ion précurseur préalablement sélectionné. Présentant une affinité électronique très élevée (24,6 eV), les ions He+ réagissent selon des processus d’échange de charge conduisant à la transformation du précurseur sélectionné en ions radicaux, qui, en se fragmentant, donnent des spectres très riches et informatifs comparé au CID. L’activation CTD peut de plus s’appliquer indifféremment à des ions précurseurs positifs ou négatifs.

Cette année le laboratoire LAMBE a entrepris une collaboration avec le professeur Glen P. Jackson, afin de modifier un spectromètre de masse (AmaZon Speed ETD) de sa plateforme. Cette modification a consisté à relier le piège ionique à une source d’ions He+ rapides, alimentée par un flux d’hélium gazeux (canon à hélium). Dans ce but, le piège ionique ETD a dû préalablement être doté d’un nouvel orifice permettant d’introduire le faisceau d’ions He+. Ce couplage est désormais pleinement opérationnel, et la technique CTD peut fournir des informations structurales particulièrement riches, comme l’illustre cette figure comparant les spectres de fragmentation CID et CTD d’un polymère de Polyméthyldisiloxane (PDMS).

Implanté sur un instrument de paillasse, ce dispositif est ouvert à la communauté scientifique et aux demandes d’entreprises, et donne accès à des niveaux très élevés d’énergie d’activation sans recourir à de grands équipements (synchrotron). Il dote la plateforme du LAMBE d’un potentiel analytique élargi afin de faire face à la complexité structurale de plus en plus grande des biomolécules à analyser.

Comparaison de spectres de fragmentations CID vs CTD pour un polymère de PDMS. Le spectre CTD est particulièrement riche, et comparable dans le cas présent à ce qui peut être obtenu par activation XUV (SOLEIL).© Jean-Yves Salpin

Contact

Jean-Yves Salpin
Chercheur, Laboratoire analyse, modélisation et matériaux pour la biologie, et l'environnement (CNRS/Université Evry-Val d’Essonne Paris-Saclay/CY Cergy Paris Université)
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS
Anne-Valérie Ruzette
Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS