Hommage à Jean-Marie Catala, ancien chercheur à l'Institut Charles Sadron

Hommages

C’est avec une profonde tristesse que nous avons appris le décès de Jean-Marie Catala à l'âge de 77 ans. Directeur de recherche au CNRS, il a contribué au rayonnement de l'Institut Charles Sadron de Strasbourg.

Jean-Marie Catala est arrivé au Centre de Recherches sur les Macromolécules (CRM) en 1972, pour y suivre l’enseignement de troisième cycle sur les polymères de l’Université Louis Pasteur de Strasbourg. Il a été accueilli dans l’équipe Synthèse Organique Macromoléculaire du Professeur Jean Brossas. Il y a préparé une thèse de troisième cycle, sur la synthèse de polymères téléchéliques à extrémités hydroperoxyde (soutenue en 1975), puis une thèse d’état, sur l’action de l’oxygène sur des oligomères et des polymères mono- et multi-carbanioniques (soutenue en 1980). Lors de ces premières études, il n’a pas réalisé que les synthèses des polymères ; il a aussi étudié les mécanismes réactionnels pour maîtriser chacune des étapes de la fonctionnalisation par des études cinétiques, bénéficiant particulièrement de discussions avec Gilbert Clouet. À une époque où cela n’était pas encore répandu, il utilisait déjà couramment plusieurs techniques de caractérisation telles que RMN, IR et CES. Cette attitude de chimiste consciencieux, il l’a conservée tout au long de sa carrière, c’est-à-dire jusqu’à son départ à la retraite, en 2012.

Jean-Marie est entré au CNRS après l’obtention de son diplôme de docteur troisième cycle. Après sa soutenance de thèse d’état, il est parti à Amherst aux États-Unis pour un stage postdoctoral d’un an sur les polymères cristaux liquides thermotropes. A son retour, n’ayant pas réussi à retenir l’attention d’un physicien du CRM sur ces polymères, il a poursuivi ses recherches au sein de l’équipe de Jean Brossas au CRM, puis à l’Institut Charles Sadron (ICS), sur la fonctionnalisation de macromolécules, cette fois principalement dans le cadre du problème cardinal de l’ignifugation des matériaux polymères. Il s’est intéressé aux polysulfures, proposant de nouvelles synthèses d’oligomères et polymères contenant des atomes de soufre, ainsi qu’à certains polymères phosphonés, toujours en étudiant finement les cinétiques et mécanismes des polymérisations mises en oeuvre. Ces polymères ayant de nombreuses applications, ces recherches bénéficiaient de coopérations avec l’industrie. Simultanément, Jean-Marie préparait des films minces de polymères liquides pour des mesures de forces de surface et de viscosité réalisées par des physiciens aux Etats-Unis.

Plus tard, Jean-Marie a laissé de côté ce problème de l’ignifugation, réclamant certainement davantage d’études physico-chimiques, pour aborder, avec ses étudiants et les ingénieurs de son équipe dans cette circonstance, la polymérisation radicalaire contrôlée, domaine dans lequel il a obtenu des résultats remarquables et une reconnaissance internationale. Son apport concerne notamment des études cinétiques par RPE et des mécanismes de la polymérisation radicalaire contrôlée du styrène et des styrènes substitués en présence de radicaux nitroxydes, avec application à la synthèse de copolymères à blocs. Parallèlement, de nouveaux nitroxydes et alcoxyamines fonctionnalisés ont été mis au point pour la polymérisation radicalaire contrôlée de monomères vinyliques, en corrélant la structure des radicaux et les paramètres cinétiques de la polymérisation. Cette thématique a finalement conduit à une coopération fructueuse avec des chercheurs de l’université de Liège.

A la même époque, Jean-Marie s’est intéressé aux procédés de polymérisation et de modification chimique de polymères en milieu supercritique, ou en présence de CO2 supercritique.

Dans le cadre d’une coopération avec des physiciens de l’ICS, il entreprit la synthèse d’un polyacide conjugué, le poly(thiophène 3-acide acétique) (P3TAA), d’abord par oxydation pour donner des polymères régioaléatoires. Puis, il utilisa la métathèse d’organomagnésiens avec un catalyseur au nickel (GRIM) pour obtenir des polymères de masses molaires contrôlées et 100 % régioréguliers. Fidèle à lui-même, il est parvenu à ce résultat en étudiant les mécanismes de la polymérisation, en synthétisant de nouveaux monomères et en contrôlant l’amorçage in situ par spectroscopie UV-Visible et dosage RMN. La structure des solutions aqueuses de P3TAA régioalétoires a ainsi pu être étudiée et le lien entre structure électronique des électrons pi du squelette et conformation moyenne de ces macroions a permis une observation originale de l’instabilité de charge des polyélectrolytes hydrophobes à distribution de charge dynamique (transition hydrophile-hydrophobe des polyélectrolytes dits « annealed »). Une étude de l’interaction du P3TAA avec des tensioactifs à base de bromure d’alkyltriéthylammonium a également été abordée.

Ultérieurement, une coopération avec l’université de Tours et le CEA Le Ripault l’a conduit à adapter pour la première fois, et avec succès, la polymérisation radicalaire contrôlée en présence de radicaux nitroxydes à la synthèse de nouveaux polystyrènes portant des espèces organométalliques, de masses molaires contrôlées et de faibles polymolécularités. En utilisant la polymérisation par voie anionique, il a également réussi à préparer, aussi pour la première fois, des poly(alpha-méthylstyrènes), de très grandes masses molaires contrôlées et de faibles polymolécularités.

Dans le même esprit collaboratif, il synthétisait régulièrement des macromolécules modèles pour des études de physique fondamentale menées par des physiciens ou physico-chimistes de l’ICS.

Jean-Marie Catala a effectué l’essentiel de sa carrière au CNRS. Par ses travaux originaux, ses coopérations avec des collègues chimistes ou physiciens, en France et à l’étranger, ainsi que des industriels, par son enseignement contingent de la chimie des polymères à l’université Louis Pasteur, et son implication au GFP en tant que président de la section Grand-Est, il a pleinement contribué au rayonnement du CRM, puis de l’ICS.

Jean-Marie était un scientifique extrêmement curieux qui s’intéressait de près aux activités allant au-delà de ses thématiques de recherche. Il était en cela un pilier de la vie scientifique du laboratoire.

À côté de cette vie scientifique, Jean-Marie était un infatigable animateur de la vie sociale du laboratoire, bien souvent jusqu’aux bouts de soirées animées. Mais, en détournant les considérations d’un cinéaste français sur l’art, on pourrait souligner qu’il pensait que « la Science ne vaut rien s’il n’y a pas la vie la plus brute dedans et que la vie ne vaut rien s’il n’y a pas la Science pour en saisir les reflets ». Il n’est donc pas surprenant qu’il ait eu une précieuse connivence avec les plus jeunes chercheurs, leur prodiguant des conseils utiles, avec exigence et bienveillance.

Jean-Marie Catala nous a quittés dans sa 77ème année, après une longue et difficile hospitalisation. Il se sera battu magnifiquement, courageusement.

Daniel Grande, directeur de l'Institut Charles Sadron

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