La mosaïcité dynamique, clé du transport ionique dans la matière molle fonctionnelle

Résultats scientifiques

Alors que les batteries à cristaux liquides apparaissent comme une alternative prometteuse aux technologies lithium-ion, leurs performances restent limitées par la compréhension des mécanismes de transport ionique. Un consortium de scientifiques a mis en évidence pour la première fois le rôle déterminant de la mosaïcité dynamique dans la conduction ionique des cristaux liquides. Ce phénomène décrit l’auto-organisation hiérarchique et évolutive de domaines ordonnés, séparés par des interfaces dynamiques, modulables par des stimuli externes. Publiés dans la revue Advanced Science, ces travaux montrent qu’un champ magnétique appliqué peut accroître la taille des domaines et ainsi tripler la conductivité ionique du matériau.

Depuis plus de quarante ans, la technologie des batteries lithium-ion a façonné notre monde connecté, valant à ses inventeurs le prix Nobel de chimie 2019. Elle repose sur le transport d’ions à travers un électrolyte liquide entre deux électrodes, ainsi que sur des réactions électrochimiques clés qui se produisent aux interfaces électrolyte/électrodes. Malgré leurs performances remarquables, ces électrolytes sont souvent toxiques et inflammables. La recherche s’oriente donc vers de nouvelles générations de batteries à électrolytes « tout solides », plus sûres et plus performantes. Ces systèmes reposent sur des matériaux variés, dont des cristaux liquides similaires à ceux utilisés dans les écrans LCD. Les batteries tout solides n’ont cependant pas encore atteint leurs performances théoriques ni la maturité industrielle nécessaire à leur production à grande échelle. Des chercheuses et chercheurs du laboratoire Systèmes moléculaires et nanomatériaux pour l’énergie et la santé (SyMMES, CNRS/CEA/Univ. Grenoble Alpes/Grenoble-INP), du Laboratoire d’électrochimie et de physicochimie des matériaux et des interfaces (LEPMI, CNRS/Grenoble-INP/Univ. Grenoble Alpes/Univ. Savoie Mont-Blanc), du laboratoire Ingénierie des matériaux polymères (IMP, CNRS/Univ. Claude Bernard Lyon 1/INSA Lyon/Univ. Jean Monnet), du laboratoire Physico-chimie des matériaux et des électrolytes pour l’énergie (PCM2E, Univ. de Tours), du Laboratoire de chimie de l’ENS de Lyon (LCH, CNRS/ENS Lyon/Univ. de Lyon) et de l’European synchrotron radiation facility (ESRF, Grenoble) sont parvenus à tripler la conductivité ionique d’électrolytes liquide-cristallins en appliquant un champ magnétique de seulement un tesla. Cette avancée repose sur la compréhension et la maîtrise de la mosaïcité dynamique, désormais identifiée comme un levier clé du transport ionique dans la matière molle.

La mosaïcité désigne la capacité des cristaux liquides à s’auto-organiser en domaines séparés par des interfaces, à l’image d’une mosaïque reliés par des joints. Cette mosaïcité est ici dynamique : l’application d’un stimulus, tel qu’un champ magnétique, modifie la taille des domaines et réduit le nombre d’interfaces qui pénalisent généralement le transport ionique. Plus les domaines sont grands, moins il existe d’interfaces bloquantes, et plus le transport ionique entre les électrodes devient efficace  ouvrant ainsi la voie à des batteries à recharge rapide. Dans ces matériaux, la structure chimique des cristaux liquides encode un auto-assemblage hiérarchique dynamique formant des couches lamellaires, où alternent domaines ionophiles et ionophobes. Cette organisation génère des canaux bidimensionnels nanométriques. Les ions y circulent jusqu’à 10 000 fois plus rapidement que dans la direction perpendiculaire à ces canaux 2D, donnant naissance à une anisotropie de conduction remarquable. Pour sonder ces processus, les chercheurs ont mis en œuvre un dispositif in situ inédit associant spectroscopie d’impédance électrochimique à la diffusion des rayons X aux petits et grands angles, sur les lignes de lumière de l’ESRF à Grenoble, en présence ou non d’un champ magnétique.

Au-delà du système modèle étudié, cette approche établit un formalisme général qui permet d’unifier des concepts issus de domaines variés : électrolytes de batteries tout solides et de piles à combustible, mais aussi membranes et canaux biologiques, semi-conducteurs organiques et matériaux à conduction mixte ionique et électronique. Les électrolytes de nouvelle génération sont des matériaux dynamiquement auto-assemblés, doués de facultés d’autoréparation et dont les propriétés peuvent être modulées à façon, ouvrent de fascinantes perspectives pour le développement de matériaux organiques stimuli-sensibles, dédiés au stockage et la conversion d’énergie, l’(opto)électronique organique, ainsi qu’à des dispositifs de bio(nano)électronique capables d’interfacer et de sonder le vivant.

Transport anionique quasi-2D dans des cristaux liquides ioniques thermotropes à organisation lamellaire, illustrant l’anisotropie structurale et le nanoconfinement des porteurs de charge. L’alignement sous champ magnétique accroît la taille des domaines et amplifie le transport directionnel des ions, mettant en évidence le rôle central de la mosaïcité dynamique dans ces électrolytes stimuli-sensibles © Pung et al.

Référence

Hélène Pung, Celso Yassuo Okada-Junior, Mirella Simões Santos, Marta Mirolo, Isabelle Morfin, Gilbert Chahine, Jannick Duchet-Rumeau, Johan Jacquemin, Agilio Padua, Sébastien Livi, Patrice Rannou, Manuel Maréchal
Dynamic Mosaicity Modulates Ion Transport in Stimuli-Responsive Liquid Crystal Electrolytes
Advanced Science 12, e10610 (2025)
DOI : 10.1002/advs.202510610.

Contact

Manuel Maréchal
Chercheur au laboratoire Systèmes moléculaires et nano matériaux pour l'énergie et la santé (CEA/CNRS/Université Grenoble Alpes/Grenoble INP)
Patrice Rannou
Chercheur au Laboratoire d'électrochimie et de physicochimie des matériaux et des interfaces (CNRS/Grenoble INP/Université Grenoble Alpes/Université Savoie Mont Blanc)
Communication CNRS Chimie