Comment les cellules gèrent-elles la pression ?

Résultats scientifiques

La cellule en interaction avec son environnement doit s’adapter à de nombreux stimuli extérieur comme les changements de pression interne. Dans un article paru dans Advanced Materials, des physicochimistes du Laboratoire de chimie des polymères organiques présentent des cellules artificielles qui permettent de directement mettre en évidence cette réponse biologique étroitement reliée aux maladies neurodégénératives, aux infections virales, aux cancers et aux troubles liés à l'âge.

Au cours des dix dernières années, les scientifiques ont fait d'énormes progrès dans la construction de cellules artificielles complexes afin de dévoiler les origines de la vie et les mécanismes derrière ces systèmes hautement sophistiqués et multi-compartimentés que sont les cellules. Grâce à cette compartimentation, les cellules organisent les bio(macro)molécules (protéines, peptides, enzymes…) et contrôlent leurs échanges par des processus de transport sélectif, ce qui leur permet de moduler dans le temps et dans l'espace les réactions essentielles à leur fonctionnement et à leur survie. Chaque sous-compartiment ou organite peut effectuer une activité spécifique sans interférer avec les autres compartiments environnants, offrant ainsi à la cellule la capacité unique de produire et dégrader simultanément différents composants essentiels.

Dans les cellules eucaryotes, on distingue les organites entourés d’une membrane lipidique de ceux, découverts plus récemment, qui en sont dépourvus. Ces derniers peuvent se former et disparaître en réponse par la cellule à un stimulus extérieur comme un changement de pression interne. Les cellules sont en effet capables de libérer un excès d’eau pour éviter leur éclatement en cas de stress osmotique. Lorsque l'eau est expulsée, la cellule rétrécit et concentre son contenu bio(macro)moléculaire interne, ce qui induit la formation d'organites sans membrane par séparation de phase liquide-liquide. L’absence de membrane permet à ces organites des échanges hautement dynamiques et facilités avec leur environnement.

Pour imiter cette propriété intrinsèque des cellules et mieux comprendre la formation et le rôle dynamique de ces organites sans membrane, des chercheurs du Laboratoire de chimie des polymères organiques (CNRS/Institut polytechnique de Bordeaux/Université de Bordeaux) ont préparé des protocellules à base de polypeptides macromoléculaires de type élastine encapsulés dans des vésicules lipidiques auto-assemblées. Du polyéthylène glycol (PEG) permet de mimer le microenvironnement intérieur encombré des cellules. Les scientifiques ont ainsi montré qu’en induisant un choc hypertonique sur les vésicules auto-assemblées, de l'eau est expulsée ce qui induit une augmentation locale de la concentration des polypeptides et leur séparation de phase. Ces derniers forment des coacervats* qui imitent l’assemblage d'organites sans membrane induits par le stress cellulaire. Lorsque ces polypeptides sont conjugués à la peroxydase de raifort (HRP) choisie comme enzyme modèle, les scientifiques ont montré que le confinement de l’enzyme dans les coacervats en réponse au stress osmotique accélère la cinétique de la réaction enzymatique.

Ce système de protocellule, qui font la couverture de la revue Advanced Materials, forme un prototype unique pour comprendre l'importance des organites sans membrane dans l'activité des cellules et plus particulièrement leur capacité à répondre à un changement physiologique tel qu’une variation de pression. La capacité d'affiner et contrôler des réactions enzymatiques dans une protocellule artificielle robuste ouvre par ailleurs des portes dans les domaines de la biotechnologie, des produits pharmaceutiques et de la bio-ingénierie.

*Un coacervat (du latin coacervare, rassembler, mettre en groupe) est une petite gouttelette riche en polymères qui se forme spontanément dans l’eau par un phénomène de séparation de phase liquide-liquide (typiquement par interactions électrostatiques entre des molécules de charge opposée).

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Référence

Control of Enzyme Reactivity in Response to Osmotic Pressure Modulation Mimicking Dynamic Assembly of Intracellular Organelles
Clémence Schvartzman, Hang Zhao, Emmanuel Ibarboure, Vusala Ibrahimova, Elisabeth Garanger & Sébastien Lecommandoux
Advanced Materials 2023.

https://doi.org/10.1002/adma.202301856

Contact

Sébastien Lecommandoux
Enseignant-chercheur au Laboratoire de chimie des polymères organiques (CNRS/Institut polytechnique de Bordeaux/Université de Bordeaux)
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC
Anne-Valérie Ruzette
Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS