Bic nous en fait voir de toutes les couleurs

Entretiens

Près de 100 millions de stylos à bille « Bic Cristal » sont vendus par an en France, soit plus de 3 par seconde ! Un vaste marché qui génère de nombreuses recherches pour améliorer la qualité des encres, leurs propriétés, mais aussi les rendre plus vertueuses de manière à limiter leur impact environnemental.

Karine Mougin, chercheuse à l’Institut de science des matériaux de Mulhouse, nous détaille les travaux de son équipe, menés dans le cadre de contrats de recherche avec la société Bic Ecriture 2000 de Montévrain, qui ont conduit à une nouvelle formulation de ses encres.

Pouvez-vous tout d’abord évoquer les raisons qui ont motivé le rapprochement entre l’entreprise BIC Ecriture 2000 et votre équipe spécialisée dans la synthèse et l’assemblage de nanoparticules ?

La collaboration entre la Société BIC et l’IS2M est issue d’une simple discussion en 2016, entre un ancien étudiant Romain Métillon de l’Ecole de Chimie de Mulhouse, qui venait d’achever son cursus en école d’ingénieur et était nouvellement embauché chez BIC Ecriture 2000, et Karine MOUGIN, qui est enseignante chercheuse à l’UHA et à l’IS2M (CNRS), sur les différentes manières de réaliser de la couleur sur les objets. A l’issue de cette discussion, deux nouvelles techniques de coloration  avaient été identifiées : la couleur structurelle et la couleur plasmonique*. Ces deux méthodes devaient permettre de réaliser de la couleur pour les produits BIC. De fait, des premiers tests de couleur plasmonique dans les encres ont été réalisés fin 2016 sur des bases encres de chez BIC et ont montré tout leur potentiel : la possibilité de réaliser de la couleur et même de créer de nouvelles encres à couleur changeantes.

L’objectif principal de ces nouvelles encres est, d’une part, de reproduire les encres 4 couleurs de chez Bic pour réaliser un nouveau type de stylo et, d’autre part, de réaliser de nouvelles encres à couleur variable. L’utilisation de nanoparticules métalliques pour réaliser la couleur plasmonique des encres est bien sûr, comme tout autre matériau à l’échelle nanométrique, soumise à la règlementation REACH. Les premiers échantillons d’encres ont donc été analysés afin de vérifier que la teneur en nanomatériau respectait les règles de sécurité à l’échelle Européenne.

En quoi ces nouvelles encres sont-elles révolutionnaires ?

L’originalité de ce travail repose sur le développement de nouvelles formulations d’encre capables de changer de couleur, effaçables et ayant une durée de vie plus importante que celles à base de colorants. Ce système, inspiré de la nature, s’appuie sur un effet bien connu : l’effet « caméléon ». Tout comme les caméléons qui, en gonflant (ou non) leur corps, jouent sur la distance intercristaux de guanine disséminés dans leur peau pour changer leur couleur, les encres à base de nanoparticules métalliques changent de couleur en se dispersant et séchant sur la feuille de papier ; en effet, les distances entre les nanoparticules métalliques contenues dans l’encre sont alors modifiées (si on les compare entre le moment où elles sont dans l’encre et déposées sur le papier) et engendrent un changement de couleur (figure 1b). 

De plus, l’effet plasmonique des nanoparticules permettent de créer des couleurs intenses avec très peu de nanomatériaux, et évitent tout blanchiment ou perte de couleur des encres sur le long terme. Cet effet a été largement utilisé au cours de l’histoire dans la fabrication du verre constituant les vitraux des cathédrales ainsi que pour colorer des céramiques qui ont traversé les millénaires.

Cette nouvelle technologie basée sur un matériau hybride devrait permettre de satisfaire la demande toujours plus exigeante et innovante du consommateur du 21ième siècle tout en contribuant, à son échelle, aux nouvelles révolutions technologiques liées à l’industrie du futur

 

Quelle forme de partenariat avez-vous choisi pour mener à bien vos travaux de recherche ?

Ce travail de recherche a débuté en 2017, sous forme de trois contrats de recherche, qui ont été alors successivement signés pour réaliser une preuve de concept de ces nouvelles encres plasmoniques. Suite aux premiers succès de ces nouvelles encres, une thèse Cifre, qui a débuté fin 2020, a permis de lancer sur le long terme ce projet sur les encres à couleur fixe et/ou variable.

Nous espérons que ces nouvelles encres, bien qu’encore soumise à des améliorations de formulation, , pourront être lancées sur le marché dans un futur proche.

La technologie développée au sein des encres est également mise à profit dans le domaine des peintures. Par ailleurs, la coloration des peintures et/ou des encres a été optimisée pour l’adapter à l’industrie du futur, en particulier par l’utilisation de procédés de flux continu, ceci afin d‘améliorer la sécurité au travail et réaliser des matériaux éco-responsables en limitant l’utilisation et la manipulation de solvants et produits dangereux.

(*) La couleur structurelle est une coloration due à des interférences sur une surface structurée dont les dimensions sont proches de la longueur d’onde de la lumière visible alors que la couleur plasmonique, pour des solutions de nanoparticules, est due à la capacité d’absorption de la lumière de ces nanoparticules. La couleur produite est alors soustractive et elle peut être intensifiée par l’effet plasmon qui est une oscillation collective de charges électriques sous l’effet d’une onde éléctromagnétique, ici la lumière.

Rédacteur : CCdM

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a) panel de couleur d’encre disponible avec une même formulation, b) exemple d’encre à changement de couleur. © Karine Mougin

Contact

Karine Mougin
Chercheuse à l'Institut de science des matériaux de Mulhouse
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS
Anne-Valérie Ruzette
Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC