Détecter la chiralité en nageant

Résultats scientifiques

Les molécules chirales peuvent adopter deux configurations, appelées énantiomères, dont les images l’une de l’autre dans un miroir ne sont pas superposables. Si leurs propriétés physico-chimiques sont identiques, les deux énantiomères d’une molécule, par exemple un médicament, peuvent avoir des effets physiologiques très différents voire antagonistes. Pouvoir les détecter individuellement, les séparer ou en déterminer les proportions dans une solution est donc essentiel. Des chercheurs de l’ISM (CNRS/Université de Bordeaux/Bordeaux INP) et du CRPP (CNRS/Université de Bordeaux), avec leurs partenaires italiens, proposent une approche extrêmement simple et inédite, basée sur des nageurs miniaturisés, qui est publiée dans la revue Nature Chemistry.

Les mains, les chaussures, les coquilles d’escargot, certaines plantes…sont des objets chiraux. Une molécule est chirale si elle possède deux formes, dites énantiomériques, dont les images l’une de l’autre dans un miroir ne sont pas superposables. Presque toutes les propriétés physico-chimiques de deux énantiomères sont identiques (masse, point de fusion, solubilité …). Par contre, de nombreuses fonctions physiologiques (perception des odeurs, métabolisme etc.) reposent sur la reconnaissance spécifique d’un seul des deux énantiomères. Les propriétés pharmaceutiques de deux énantiomères peuvent donc être très différentes, l’un pouvant être bénéfique, l’autre inefficace voire même toxique. Si, dès 1848, Pasteur réussit à distinguer les deux énantiomères d’un composé chimique en triant à la main les cristaux de chaque énantiomère, des efforts importants continuent d’être déployés aujourd’hui par les scientifiques pour développer des méthodes qui permettent de détecter et/ou trier des énantiomères de façon sélective.

Plusieurs approches sont actuellement utilisées, notamment par voie optique, chromatographique ou électrochimique, qui nécessitent des équipements plus ou moins complexes. Des chercheuses et chercheurs de l’Institut des sciences moléculaires de Bordeaux (CNRS/Université de Bordeaux/Bordeaux INP) et du Centre de recherche Paul Pascal (CNRS/Université de Bordeaux) viennent de proposer, avec leurs collègues italiens, une nouvelle approche qui permet d’analyser de manière très simple une solution contenant des molécules chirales à l’aide de nageurs miniaturisés. Ces objets, réalisés à base d’un polymère conducteur, sont modifiés d’un côté par un dépôt d’enzymes et à l’autre extrémité par des oligomères chiraux. La force motrice qui permet de propulser ces nageurs à l’interface air/eau provient de la conversion enzymatique d’oxygène. La trajectoire, et en particulier le sens de rotation de ces nageurs, dépend de la chiralité des molécules présentes en solution qui interagissent avec les oligomères chiraux greffés sur le nageur. Un énantiomère va induire un mouvement giratoire dans le sens des aiguilles d’une montre, tandis que l’autre provoque une rotation dans le sens opposé. L’analyse de la trajectoire permet même de remonter jusqu’à la concentration relative de chaque énantiomère. Ces résultats, obtenus dans le cadre du projet ERC Advanced ELECTRA, ouvrent la voie vers toute une nouvelle famille de méthodes analytiques pour déterminer le caractère chiral d’une solution de manière extrêmement simple et rapide, contrairement aux approches utilisées actuellement.

Rédacteur: AVR

© Alexander Kuhn

Référence

Direct dynamic readout of molecular chirality with autonomous enzyme driven swimmers

Serena Arnaboldi, Gerardo Salinas, Aleksandar Karajić, Patrick Garrigue, Tiziana Benincori, Giorgia Bonetti, Roberto Cirilli, Sabrina Bichon, Sébastien Gounel, Nicolas Mano, Alexander Kuhn, Nature Chemistry 14 octobre 2021.

https://doi.org/10.1038/s41557-021-00798-9

Contact

Alexander Kuhn
Chercheur à l'Institut des sciences moléculaires (CNRS/Université de Bordeaux/Bordeau INP)
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC
Anne-Valérie Ruzette
Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS