Hommage à Lucette Duhamel (1935-2020)
Nous avons appris avec beaucoup de tristesse la disparition du Dr Lucette Duhamel le lundi 6 janvier dernier. Nous souhaitons rendre hommage à cette collègue, créative et discrète, très appréciée de sa communauté et dont les contributions scientifiques restent de la plus grande importance.
Lucette Duhamel, née Chaidron, Ingénieur de l’Ecole Nationale Supérieure de Chimie de Lille (ENSCL), a commencé, en 1958, une thèse sous la direction du Professeur Albert Kirmann dans le laboratoire de chimie organique de l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm à Paris. Les succès qu’elle rencontre pendant cette phase précoce de sa carrière lui permettent d’obtenir le titre de Docteur d’Etat avec la mention très honorable et d’être aussitôt recrutée en tant qu’attachée de recherche au CNRS.
Dès 1964, elle fonde dans la toute nouvelle Université de Rouen, avec son époux, le Professeur Pierre Duhamel, le Laboratoire des Fonctions Azotées et Oxygénées Complexes (devenu depuis l’UMR « COBRA », Université de Rouen / INSA de Rouen / CNRS). Lucette Duhamel y mène une carrière brillante en chimie organique de synthèse qui a conduit à des découvertes importantes, en particulier dans le domaine de la stéréochimie avec plusieurs premières mondiales sur l’utilisation des amidures de lithium chiraux. En particulier, elle a imaginé, à la fin des années 70, le concept de « déracémisation », depuis reconnu internationalement et utilisé comme une voie originale d’accès aux composés optiquement actifs. L’article de revue « Enantioselective protonations: fundamental insights and new concepts » qu’elle a publié en 2004 lui a d’ailleurs valu le « Tetrahedron : Asymmetry Most Cited Paper 2004-2007 Award».
Lucette Duhamel a également fait progresser la chimie organométallique via de nouveaux réactifs polyéthyléniques permettant, en particulier, la synthèse en une seule étape du rétinal, précurseur de la vitamine A. Ces réactifs ont donné lieu à plusieurs brevets avec la société Rhône-Poulenc (aujourd’hui Solvay). Un peu plus tard, elle a su apporter un nouveau souffle aux classiques réactions d’annélation, en améliorant considérablement leur rendement et en permettant la synthèse industrielle de composés utilisés dans les biotechnologies, inaccessibles jusqu’alors par voie classique. Parmi ses collaborations avec les industriels de la pharmacie, celle avec les Laboratoires Glaxo mérite d’être soulignée car elle a conduit à la découverte d’un inhibiteur puissant et sélectif de la protéine-kinase-C, décrit dans un article remarqué (cité plus de 2400 fois). Enfin, la collaboration de Lucette et Pierre Duhamel avec le Dr Jeanne-Marie Lecomte et le Professeur Jean-Charles Schwartz, fondateurs de la société Bioprojet, a conduit, au début des années 90, à la mise au point d’une voie de synthèse industrialisable pour le Tiorfan, molécule vedette de cette alors toute jeune entreprise.
Ses nombreux succès scientifiques, incluant entre autres la direction d’une soixantaine de thèses de doctorat, lui valent d’être promue Maître de Recherches, puis Directeur de Recherches au CNRS, ainsi que le classement de son équipe au 1er rang national par le comité d’évaluation de l’organisme. Elle a publié 125 articles dans de nombreuses revues internationales de haut niveau scientifique, décrivant aussi ses découvertes au travers de conférences tant en France qu'à l'étranger. Ses mérites lui ont valu en particulier le Prix de la Division de Chimie Organique de la Société Chimique de France en 1981, et plus largement la reconnaissance de la communauté scientifique internationale. Son activité fédératrice a aussi permis la mise en place, avec les équipes de recherche de Caen, du Pôle Universitaire Normand de Chimie Organique (PUNCH). Ce réseau, qui a rapproché dès 1995 la chimie des universités de Caen et de Rouen, a permis aux communautés de monter des projets ensemble, partager des équipements spécifiques, échanger des chercheurs et des doctorants, ... C’est sur cette connaissance et appréciation mutuelles que s’appuie encore aujourd’hui la recherche en chimie organique normande.
Lucette Duhamel était également attentive à la dimension internationale de son laboratoire, fréquenté par de nombreux collègues étrangers en provenance du monde entier. Sa proximité avec le Royaume-Uni l’a aussi incitée à créer, avec Pierre Duhamel et le Dr Stuart Warren, Professeur à l’Université de Cambridge, le réseau Anglo-Norman Organic Chemistry Colloquium (ANORCQ) qui a associé les équipes de chimie organique des Universités de Cambridge, Southampton et Norwich-East Anglia à celles de Normandie (Caen, Rouen, Le Havre) entre 1991 et 2016 et leur a permis de développer de nombreux projets de recherche en commun. La force de cette culture anglo-normande en chimie a d’ailleurs permis par la suite le lancement de plusieurs projets européens Interreg, dont un en activité (LabFact) et un nouveau en cours d’examen.
Sur le plan humain, Lucette Duhamel était une personnalité remarquable, prête à s’investir pour ses collègues et ses proches en ne comptant jamais son temps. Toujours d’humeur égale, elle aidait les jeunes chercheurs qui l’entouraient à progresser vers les sommets, en leur faisant partager ses connaissances et son enthousiasme. Excellente conseillère et travailleuse acharnée, elle était également une collègue d’une modestie et d’une discrétion rarement rencontrées, toujours appréciées. Avec Lucette Duhamel, la chimie française a perdu une grande dame.