DIADEM, un PEPR pour des matériaux innovants

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Le 7 juin, a eu lieu la journée de lancement de DIADEM, PEPR exploratoire porté par le CNRS et le CEA avec un budget de 85 M€ sur 8 ans. L’objectif : accélérer la conception et l’arrivée sur le marché de matériaux plus performants et durables, notamment grâce à l’intelligence artificielle. Les détails avec Mario Maglione, co-porteur du PEPR pour le CNRS, le co-porteur pour le CEA étant Frédéric Schuster.

En quoi les matériaux sont-ils un domaine stratégique et quel sera le rôle de l’intelligence artificielle dans votre PEPR DIADEM1  ?

Mario Maglione2  : Face aux enjeux sociétaux d’aujourd’hui et de demain autour de l’énergie, du transport, des transitions énergétiques ou numériques, ou encore de la santé, la découverte rapide de nouveaux matériaux est indispensable. Il s’agit d’alliages métalliques, de matériaux fonctionnels, de nano-objets… Par exemple, les batteries modernes que nous avons dans nos téléphones ont mis des décennies à être développées et commercialisées : aujourd’hui, nous n’avons plus ce temps-là, face à l’urgence des enjeux écologiques et sociétaux qui touchent la planète entière. Il faut pouvoir aller beaucoup plus vite. Et ces matériaux ou assemblages de matériaux deviennent de plus en plus complexes, avec un nombre considérable de paramètres à prendre en compte pour les synthétiser, les caractériser, optimiser leurs propriétés structurales ou fonctionnelles. Mais nous avons aujourd’hui les technologies nécessaires pour répondre à tous ces défis : intelligence artificielle, outils de synthèse et caractérisation rapides, simulations numériques et capacités à gérer de grandes masses de données, automatisation et robotisation, fabrication additive et ingénierie des couches minces3 , etc. Il faut que le développement de matériaux s’en empare pleinement.

De plus, augmenter ainsi l’envergure des synthèses de laboratoire initiera de nouveaux procédés industriels plus rapides et à plus faibles impacts environnementaux. Piloté par le CNRS et le CEA, en partenariat avec 7 partenaires académiques4 , le PEPR DIADEM doit impulser une trajectoire vertueuse contribuant à la compétitivité des industries françaises et au développement économique de la France, tout en intégrant les aspects environnementaux et sociétaux.

Le PEPR DIADEM vise donc une accélération de l’identification de matériaux stratégiques. Comment allez-vous procéder ?

M. M. : Pour accélérer la découverte et la mise sur le marché de matériaux innovants – nous espérons d’un facteur deux à cinq –, notre stratégie repose sur la mise en place en France d’équipements pérennes de haut niveau, pour un budget d’environ 40 M€. Pour cela, nous allons créer le « Open Materials Discovery HUB », un réseau de quatre plateformes distribuées sur le territoire et coordonnées. Ces plateformes seront des centres d’expertise disposant d’équipements de pointe en synthèse et caractérisation à haut débit, et en simulations numériques multi-échelle, ainsi qu’une infrastructure de bases de données avec notamment des outils de stockage et d’apprentissage. Toutes utiliseront des outils d’intelligence artificielle et donneront accès aux infrastructures de qualité dont la France dispose déjà. Elles auront des structures variées et expérimenteront plusieurs modèles, afin de déterminer ceux qui pourraient devenir les standards de la communauté de recherche.

De ces plateformes, mais surtout de leur mise en synergie, naîtra la capacité à renouveler l’innovation en sciences des matériaux. Pour le prouver, des scientifiques français reconnus internationalement mèneront des projets « démonstrateurs » reposant sur les plateformes (voir encadré). Impliquant 3 à 4 laboratoires sur 2 à 4 ans, ils feront la preuve que les plateformes permettent la découverte de matériaux clés avec des approches méthodologiques innovantes.

Enfin, le PEPR aura aussi un lien fort avec le centre « l'IA pour les sciences et les sciences pour l'IA » lancé récemment par le CNRS et dont un des initiateurs, Alexandre Legris, directeur adjoint scientifique à l’Institut de chimie du CNRS, fait également partie du comité de pilotage de DIADEM.

Comment la communauté de recherche concernée va-t-elle pouvoir faire remonter ses idées et faire financer ses projets avec DIADEM ?

M. M. : Une majorité du budget pour les projets scientifiques sera consacrée à trois appels à projets auxquels pourra répondre l’ensemble de la large communauté française concernée par les matériaux et l’IA, estimée à environ 4000 scientifiques. Cette même communauté est sollicitée pour déterminer les thématiques de ces appels d’ici mi-2023, notamment à travers les Groupements de recherche (GDR5 ) du CNRS, nos universités partenaires et un conseil d’experts et expertes internationaux, en cours de constitution. Nous sélectionnerons ainsi, à partir de 2024, une trentaine de projets pour un budget global de 32 M€. Ces projets devront s’appuyer sur les équipements mis en place par le PEPR qui devront donc être opérationnels pour 2024. Au-delà des critères scientifiques, une place importante sera donnée au caractère international des projets, en particulier aux collaborations en Europe.

Un appel à manifestations d’intérêt est aussi prévu. Sur quelles thématiques ?

M. M. : Cet appel sera dédié à la formation initiale et continue des scientifiques français, avec un budget de 3 M€. Nous envisageons déjà des liens avec des masters et écoles doctorales nationales et internationales, et des écoles se tiendront régulièrement pendant tout le programme, en nous appuyant sur les réseaux européens existants qui s’intéressent déjà à ces questions. Mais nous sommes ouverts aux bonnes idées de la communauté. L’objectif est qu’à la fin du PEPR, un tiers au moins de la communauté française de recherche en matériaux considère l’IA comme un outil de recherche important et à usage quotidien. Et pour cela, il faut des formations efficaces à tous les niveaux.

Quelle est la place de la France dans ce domaine aux enjeux mondiaux ?

M. M. : Les États-Unis on été précurseurs avec le lancement en 2010 de la Material Genome Initiative (MGI), la Chine et le Japon sont également très actifs. En Europe, des programmes similaires au PEPR DIADEM existent déjà, comme en Allemagne (projet FAIRmat) ou en Suisse (projet Marvel), et les questions numériques sont au cœur des discussions, par exemple avec le projet EOSC centré sur l’ouverture des données scientifiques. À l’occasion du montage de DIADEM, nous avons initié des discussions avec FAIRmat, MARVEL et MGI. La France est dans la course au niveau européen, en particulier sur les aspects « in silico » (matériels informatiques, simulations, données). En termes de publications et brevets, les performances du CNRS et du CEA sont reconnues, notamment dans des domaines comme la fabrication additive ou la synthèse à haut débit. Les laboratoires investis dans DIADEM sont aussi déjà impliqués dans une vingtaine de projets européens. Mais il est temps de donner l’impulsion nécessaire pour ne pas se laisser distancer. C’est le but du PEPR : faire en sorte que les scientifiques se rencontrent, échangent et avancent sur les sujets sur lesquels il reste beaucoup à faire.

  • 1Les PEPR exploratoires visent des secteurs scientifiques ou technologiques en émergence pour lesquels l’Etat souhaite identifier et structurer ces communautés. Ils sont financé dans le cadre de France 2030 et l'ANR en est l'opérateur. Les PEPR exploratoires sont issus d’une sélection drastique par un jury international. DIADEM signifie en français « Dispositifs intégrés pour l’accélération du déploiement de matériaux émergents ».
  • 2Directeur de Recherche au CNRS, Mario Maglione fut directeur de l’Institut de chimie de la matière condensée de Bordeaux (ICMCB, CNRS/Université de Bordeaux/Bordeaux INP) de 2012 à 2021. Frédéric Schuster est directeur du Programme transversal de compétences Matériaux & procédés du CEA.
  • 3De nombreuses applications utilisent ces matériaux déposés en films minces (jusqu’à une épaisseur se rapprochant des dimensions caractéristiques des chaînes individuelles de polymères) : revêtements protecteurs, lubrifiants, couches adhésives, couches isolantes en micro-électronique, etc.
  • 4Université de Paris-Saclay, Sorbonne Université, Institut Polytechnique de Paris, Université de Grenoble-Alpes, Université de Lorraine, Université de Bordeaux, Université de Lyon.
  • 5Un Groupement de recherche (GDR) est un instrument important de la politique scientifique du CNRS. Créé pour une durée maximale de 5 ans renouvelable, un GDR a un financement et des missions propres. Il existe actuellement 225 GDR au CNRS.

PEPR DIADEM : 14 projets ciblés déjà sélectionnés

En s’appuyant sur les plateformes mises en place par le PEPR DIADEM, les projets démonstrateurs doivent être des « catalyseurs », créant un effet de levier pour la découverte de matériaux d'intérêt ou le développement de technologies stratégiques (impressions 3D et 4D, microfluidique, robotisation, etc.) qui conduiront à des transitions majeures en énergie, transports, numérique ou santé. Ils montreront aussi la viabilité de nouvelles approches méthodologiques, comme l'intensification des procédés ou des solutions automatisées et robotisées. Sept projets ciblés – plateformes et démonstrateurs – sont déjà lancés, sept démarreront en septembre et trois autres pourraient les rejoindre d’ici fin 2022.

Les projets ciblés déjà lancés

  • 2FAST (démonstrateur)

Ce projet vise l’automatisation complète de la synthèse et de la caractérisation en ligne de matériaux à l’aide de puces fluidiques miniaturisées.  L’optimisation de ce procédé permettra le criblage haut débit de matériaux tout en réduisant la quantité de précurseurs chimiques nécessaires pour chaque synthèse.

  • A-DREAM (démonstrateur)

Pour accélérer le développement de matériaux résistants à la corrosion, ce projet met en place un ensemble à haut débit de synthèses d'alliages, tests de corrosion/dégradation, et modélisations, le tout couplé à une caractérisation automatisée et à l'utilisation de méthode d'exploration de données et d'apprentissage machine.

  • DIAMS (démonstrateur)

Grâce à l’IA, de nouveaux alliages métalliques plus performants, durables et à l’impact environnemental réduit seront conçus et des méthodes rapides de criblage seront développées sur la base de caractérisations structurales et mécaniques à haut débit ainsi que l’imagerie multiéchelle.

  • FastNano (démonstrateur)

L’objectif de ce projet est de faire évoluer les capacités de synthèse vers une production à haut débit couplée à une caractérisation en ligne assistée par IA, afin de développer rapidement les compositions chimiques les plus appropriées pour des nanomatériaux et des matériaux bidimensionnels.

  • Hiway-2-Mat (démonstrateur)

Ce projet explore l’automatisation et la robotisation de la synthèse de matériaux sous forme de poudres ou de couches minces. Le développement d’outils de synthèse autonomes est un objectif phare de ce projet. Les premières applications visées sont les LED basse consommation, les capteurs intelligents et l’électronique.

  • RUBIS​ (démonstrateur)

Le démonstrateur met l'accent sur les céramiques et les composites thermostructuraux capables de subir des environnements sévères, avec des applications dans l’aviation, le spatial, l'énergie (notamment nucléaire), les transports ou encore le secteur de la défense. Une usine « intelligente » en améliorera le contrôle qualité et optimisera les performances de produits entièrement personnalisables, réduisant leur coût, leur consommation énergétique et leur impact environnemental.

  • LIBELUL (plateformes)

Mise en place de la plateforme de caractérisation à haut débit par « spectrométrie d'émission atomique de plasma induit par laser » (LIBS) et développement d’une plateforme mobile permettant de se déplacer sur les différents sites de synthèse à haut débit.

Les projets ciblés qui démarrent en septembre

  • ADAM​ (démonstrateur)

Ce projet se concentre sur les matériaux « architecturés », par exemple produits par impression 3D, aux propriétés optimisées sur mesure. Il entend accélérer leur découverte d’un facteur 10 en utilisant les plateformes du PEPR.

  • AMETHYST (démonstrateur)

Ce projet propose de combiner des méthodes à haut débit et l’IA pour aborder quatre études de cas  de matériaux à base de polymères, dont des matériaux biosourcés ou à dégradabilité programmable.

  • MOFs Learning​​​ (démonstrateur)

Ce projet vise à établir la preuve de concept d’une approche méthodologique permettant la synthèse et caractérisation à haut débit de MOF sur mesure. Cette approche se base sur l'apprentissage automatique et une base de données des paramètres et propriétés de MOF existants que le projet construira.

  • Computational Design of Materials

Mise en place de la plateforme de modélisation multi-échelle qui vise à faciliter l'accès aux outils de simulation des matériaux, à gérer les bases de données générées par DIADEM et à implémenter l’IA pour la science des matériaux.

  • High Throughput characterization at METSA​

Mise en place de la plateforme de caractérisation à haut débit, au sein de la fédération de recherche du CNRS « Microscopie électronique et sonde atomique » (METSA).

  • High Throughput characterization at SOLEIL​

Mise en place de la plateforme de caractérisation à haut débit, au sein du synchrotron Soleil, infrastructure de recherche portée par le CNRS et le CEA.

  • High Throughput characterization at ESRF​

Mise en place de la plateforme de caractérisation à haut débit, au sein de l’European Synchrotron Radiation Facility (ESRF), infrastructure de recherche impliquant le CNRS et le CEA.