Une nouvelle théorie hydrodynamique pour expliquer comment s'écoulent les tissus épithéliaux

Résultats scientifiques

Nos organes sont protégés par de fines couches de cellules appelées tissus épithéliaux. L’apparition de fractures dans ces tissus est associée à de nombreuses pathologies, dont l’asthme ou des atteintes de la rétine. Une équipe de chimistes, biologistes et physiciens a récemment développé une théorie hydrodynamique d’écoulement de ces couches de cellules adhérant à un substrat courbe, ce qui est le cas de la plupart des organes. Ces travaux, parus dans la revue Physical Review Letters, devraient permettre de mieux comprendre et soigner de nombreuses pathologies liées à des instabilités d’écoulement de ces tissus.

L'épithélium, ou tissu épithélial, est présent dans l'ensemble de l'organisme et entre dans la composition de la plupart des organes. Constitué d’une ou plusieurs couches de cellules similaires étroitement liées les unes aux autres, il protège les surfaces internes et externes du corps et tapisse les organes creux, les cavités ainsi que les canaux. Ce tissu assure de nombreuses fonctions, notamment de protection et de barrière, mais aussi de moyen d’interaction entre le corps et son environnement interne et externe. Ces tissus sont dynamiques. En particulier, l’épithélium des villosités intestinales, ces replis de la paroi intestinale dont la finesse permet aux nutriments de passer facilement vers le sang, est soumis à un écoulement permanent pour permettre un renouvellement complet de ses cellules en quelques jours.

De nombreux écoulements tissulaires plans ont été décrits avec succès par une théorie hydrodynamique dite active, c’est-à-dire modifiée pour prendre en compte le travail mécanique généré à l’échelle cellulaire par les moteurs moléculaires.* Ces travaux prévoient que, pour un tissu de taille finie, il existe un seuil minimal d’activité au-delà duquel les cellules sont capables de déformer leurs voisines et générer un mouvement de cisaillement à l’échelle du tissu tout entier.

Dans un article publié le 6 septembre 2022 dans la revue Physical Review Letters, des chercheurs du laboratoire Physico-chimie Curie (CNRS/Institut Curie/Sorbonne Université) et du Centre de physique théorique (CNRS/Aix-Marseille Université/Université de Toulon) ont développé une théorie hydrodynamique des tissus épithéliaux adhérant à un substrat courbe. Leurs travaux montrent que la courbure du tissu facilite l’apparition des écoulements – si bien que le seuil d’activité minimal nécessaire à l’écoulement tissulaire devient nul au-delà d’une courbure critique. Courbure et activité favorisent l’apparition de cisaillements complexes. Une perspective de ce travail est de mieux comprendre le renouvellement des villosités intestinales. Des expériences récentes dans des systèmes in vitro (organoïdes) suggèrent que ces écoulements peuvent être très régulés, ou, au contraire, turbulents. De telles instabilités hydrodynamiques pourraient jouer un rôle bénéfique, dans le renouvellement normal des tissus, ou bien délétère, dans l’apparition de pathologies.

*G. Duclos, C. Blanch-Mercader, V. Yashunsky, G. Salbreux, J.-F. Joanny, J. Prost, and P. Silberzan, Nat. Phys. 14, 728 (2018)

(a) Les cellules épithéliales ne s'orientent pas toutes de la même façon en fonction de la courbure de leur environnement. Ici, on considère un type cellulaire (MDCK) qui s’oriente de façon à ce que le corps cellulaire soit orienté suivant les lignes de de crêtes. (b-c) Modèle hydrodynamique: le signe et l’amplitude de la courbure du substrat détermine si l’écoulement de cisaillement est simple (cas de gauche, b) ou plus complexe (cas de droite, c). © Jean-François Rupprecht

Référence

Active Nematic Flows over Curved Surfaces

Samuel Bell, Shao-Zhen Lin, Jean-François Rupprecht et Jacques Prost, Phys. Rev. Lett. 6 septembre 2022

https://doi.org/10.1103/PhysRevLett.129.118001

Contact

Jacques Prost
Directeur de recherche émérite au laboratoire Physico-chimie Curie (CNRS/Institut Curie/Sorbonne Université)
Jean-François Rupprecht
Chercheur au Centre de physique théorique (CNRS/Aix-Marseille Université/Université de Toulon)
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS
Anne-Valérie Ruzette
Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS